Depuis fin mars 2015, elle est partie se refaire une beauté dans un atelier de restauration tourangeau. Qui ? Une statue de Madeleine repentante du XVIIe siècle, classée Monument historique, dans l’église Saint-Nicolas. La restauration devait durer six mois et coûter 17.935 €, dont la moitié pris en charge par la DRAC. Or rien ne s’est vraiment passé comme prévu, Marie-Madeleine se fait toujours attendre, et c’est bientôt la saison des lilas…
L’enlèvement de la Madeleine repentante, fin mars 2015.
Comme Jacques Brel, à Blois, on attend toujours Madeleine. Trois ans bientôt (fin mars) que les Blésois ont vu partir dans le ciel au bout d’une grue la statue XVIIe siècle représentant une « Madeleine repentante ». Classée Monument historique en 1972, située dans l’église Saint-Nicolas elle avait grand besoin de se refaire une beauté, abîmée par les affres du temps, de l’humidité, et du sel. « Il s’agit d’un long travail qui a débuté en 2013 mais qui faisait partie des priorités de restauration », avait dit à l’époque Emmanuelle Plumet, responsable du service Ville d’art et d’histoire à la mairie de Blois. Six mois d’absence étaient prévus initialement, dans l’atelier de restauration de Delphine Bienvenut, diplômée de l’École de Tours, avant de revenir dans l’ancienne abbatiale Saint-Laumer, actuelle église Saint-Nicolas. Trois ans après, elle y est encore…
Et là, c’est le drame : sous la couche de blanc, la polychromie
En cause : la découverte de polychromie sous la couche de salissures et de plâtre, une fois décapée par la restauratrice. « Le calendrier a été respecté : j’ai d’abord procédé au dessalement, puis j’ai consolidé la pierre qui était très abîmée ; ensuite il y a eu un nettoyage entier. J’ai regardé s’il y avait un niveau de peinture sous-jacent », explique Delphine Bienvenut. Cette étude de polychromie a révélé des traces de peinture sous le niveau de blanc. Une bonne et une mauvaise nouvelle en même temps : pour retrouver totalement la polychromie, il faut enlever cette couche de blanc au scalpel et à la loupe binoculaire, un travail assez technique et qui demande du temps, et de l’argent. « Ça ne se fait pas en 5 minutes », raconte Delphine Bienvenut. Le devis initial double de volume (31.600 € HT), et c’est là qu’est l’os. « On m’a dit : on n’a pas le budget pour dégager ce niveau de blanc », poursuit la restauratrice. « On », c’est la Ville de Blois, service du Patrimoine, qui a notamment demandé l’aide de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles), via une délibération du conseil municipal le 27 février 2017. « Une subvention au taux le plus élevé possible » indique le compte rendu du conseil, soit généralement 50 % du coût. « Terminez le devis, et attendez de voir si on a les budgets pour pouvoir continuer la restauration » indique-t-on à la restauratrice. Delphine s’exécute. Depuis fin mars 2015 jusqu’à maintenant, la Madeleine repentante attend donc patiemment dans son atelier de revoir l’église Saint-Nicolas. Elle n’est pas la seule à attendre, Madeleine : la restauratrice, attend aussi : notamment d’être payée pour son travail et ne serait pas fâchée de voir repartir cette encombrante statue, qui prend de la place et coûte cher en assurance, à sa charge… « Ce n’est pas comme assurer une voiture… » dit-elle, et on la croit bien volontiers.
Recherche de budgets jusque dans les fonds de tiroirs
L’église Saint-Nicolas.
Début 2018, miracle, la situation se débloque d’un point de vue administratif : enfin sont trouvés les budgets à la Ville de Blois (environ 12.000 €), et la DRAC qui doit abonder à hauteur de 50 % du surcoût (16.600 € HT). « On a cherché les crédits partout, l’association des Amis du vieux Blois nous a même aidé à hauteur d’environ 1.000 € », précise le directeur général des affaires culturelles de Blois Frédéric Durin, raclant les fonds de tiroir. Au budget 2018, 62.000 € ont été votés au total pour la restauration du mobilier des églises, dont 20.000 € pour la mise en conformité électrique de l’église Saint-Saturnin, 20.000 € pour l’aître Saint-Saturnin « dont deux piliers sont en très mauvais état », selon Frédéric Durin. Plus les 12.000 € de la Madeleine. « Les études sur l’église Saint-Nicolas sont aussi très lourdes », ajoute-t-il. Le chef du Service historique des Monuments historiques de la DRAC Frédéric Aubanton demande en effet d’aller plus loin sur la solidité des tours de l’église. « Des problèmes sur Saint-Nicolas, des problèmes sur Saint-Saturnin… Le mobilier… Au bout du compte, on doit prioriser. La Ville a une vingtaine d’œuvres classées Monuments historiques, et là-dessus les bâtiments sont une priorité ». Rien que le renforcement des maçonneries des tours et de la nef de Saint-Nicolas coûterait 530.000 €, toujours selon le directeur des affaires culturelles. « Frédéric Aubanton aimerait qu’on aille plus vite et plus fort, mais c’est très lourd pour le budget de la Ville de Blois » ajoute-t-il encore.
On est loin de l’enthousiasme et des éléments de langage de la responsable du service Ville d’art et d’histoire, au téléphone : « Ne vous inquiétez pas tout se passe très bien, c’est vrai que c’est plus long que prévu mais on a trouvé des choses incroyables comme la polychromie. Les élus ont tranché ; elle va bien, tout se passe bien ». Peut-être la clé réside, justement, dans les questions de « priorités » : le patrimoine religieux blésois en est-il une, alors que la ville s’enorgueillit de vivre grâce à son tourisme ? Sans revenir sur un débat qui a agité localement médias, réseaux sociaux et élus locaux : on nage en plein « doutes »…
F.Sabourin
« Chère » église Saint-Nicolas !En Lorraine c’est le père Noël. À Blois c’est plutôt un gros souci. Saint-Nicolas, église aux flèches imposantes offrant un point de vue très apprécié depuis la rive sud de la Loire, et combien plus depuis le parvis, se dégrade. Victime d’infiltrations d’eau par la toiture à cause de gouttières en bronze défectueuses, la Ville avait proposé un remplacement par une matière moins coûteuse : « Refus des Monuments historiques (Frédéric Aubanton) », indique Frédéric Durin. Le chef de service régional des Monuments historiques demande en outre des études complémentaires sur la récupération des eaux de toitures (50.000 €), et sur le chauffage (50.000 €). Un grand tableau représentant la Transfiguration (XVIIIe siècle) doit lui aussi partir en restauration quand la Madeleine repentante reviendra. « Le renforcement des tours et de la nef, c’est 530.000 € », soupire Frédéric Durin. Et pour ces budgets, très peu probable que la DRAC prenne en charge 50 %. Il faudra donc trouver des crédits pour le patrimoine religieux blésois, au risque de le voir se dégrader sérieusement et irrémédiablement.
Le patrimoine religieux de Blois, le grand oublié de la ville ?« Abandonnée de Dieu, abandonnée des hommes ». C’est ainsi qu’un fin observateur de la vie culturelle et patrimoniale blésoise qualifie l’église Saint-Nicolas, ancienne abbatiale Saint-Laumer, où la « Marie-Madeleine repentante » devrait un jour reprendre sa place. Elle n’était pas là par hasard, cette statue du XVII
e siècle classée monument historique en 1972. Dans la sacristie se trouve aussi un buste reliquaire avec des reliques – vraies ou fausses peu importe désormais – de cette Marie-Madeleine témoignage d’un ancien pèlerinage à l’époque de l’abbaye Saint-Laumer. Aujourd’hui : peu de messes, peu d’éclairage, pas d’accueil, des pierres de la voute dans la nef qui s’éparpillent façon puzzle (heureusement rattrapées par un filet de protection !), orgue à l’abandon mangé par les vers, vitraux en mauvais état suite à des épisodes de grêle. Et pour couronner le tout, des études demandées par la DRAC à la Ville de Blois qui coûtent chères, et une statue à la restauration finalement plus onéreuse qu’escomptée.
« On sent que ça n’intéresse pas grand monde, ni au niveau du patrimoine, ni au niveau touristique et commercial », ajoute cet autre passionné qui préfère garder l’anonymat.
« Pourtant, avec ses deux flèches et cette architecture unique, c’est un des plus beau panorama de Blois vu depuis l’autre rive de la Loire ! ».
Elle intéresse cependant les touristes et passants, cette église parfois confondue avec… la cathédrale Saint-Louis. Le quartier du Foix, avec ses artisans d’art, ses vieilles ruelles au cachet pittoresque (rue Anne-de-Bretagne, rue des Jacobins, rue Saint-Laumer, rue Saint-Lubin, rue des Trois-Marchands, rue du Foix, rue du Petit-Rochefort, degrés Saint-Nicolas…) possède un intérêt touristique et commercial particulier : petits bars, restaurants, boulangers, bar à vin et pub, libraire-bouquinistes… « Du temps perdu… », se lamente notre passionné de patrimoine local. De quoi faire pleurer, encore, cette pauvre Madeleine…