Pour commémorer le centenaire de la naissance du peintre orléanais Roger Toulouse, l’association des amis de Roger Toulouse organise, sur la galerie du théâtre d’Orléans, une riche exposition de peintures et de sculptures de cet artiste dont l’œuvre a marqué la création orléanaise. Retour sur cet artiste un peu secret avec un film produit dans les années quatre vingt par la Maison de la Culture dont on peut découvrir de larges extraits sur le site internet de l’association.
Roger Toulouse 1947 – Nature morte au phonographe (coll. particulière)
Au cœur d’un laboratoire unique
En 1982, permanent du département audiovisuel de la Maison de la culture d’Orléans alors dirigé par Irène Ajer, laboratoire unique en France à cette époque, Gérard Poitou* travaille avec Pierre Muller à la production de documentaires dont celui sur la « rumeur » d’Orléans et mène des actions pilotes de sensibilisation scolaire avec utilisation de la vidéo. Reste que Gérard Poitou mettra aussi en route en 1983 le Cinemobil, outil pionnier itinérant de promotion culturelle départementale, sorte de gros insecte sur roues à soufflet qui pouvait accueillir cent spectateurs et tournait dans vingt-deux communes du Loiret.
Première rencontre entre le vidéaste et le peintre
Max Jacob par Roger Toulouse col. part.
Mais c’est à l’occasion d’une exposition montée par Alain Papet au Théâtre que Gérard Poitou, homme d’écoute insatiable, rencontre profondément l’œuvre du peintre orléanais Roger Toulouse et que, d’un commun accord, la MCO et son atelier de production, qui venait de travailler pour le journal Le Monde et avec le dessinateur Jacno, décident de réaliser un film sur l’artiste dont on découvre aujourd’hui la très belle rétrospective à la galerie du Théâtre.
Gérard Poitou : « Cet artiste, je le connaissais de réputation, mais c’est vraiment à ce moment que je le découvre. Durant l’exposition, il vient dans la régie vidéo de la MCO, et se montre fasciné. Il adore l’image, est très curieux de la façon d’en faire, admire l’immédiateté et la magie que permet cette intrigante vidéo.
Très vite, Roger nous propose une façon de travailler inattendue. Il ne veut pas parler de son œuvre. Il n’est ni exhibitionniste ni narcissique, ne veut jamais se mettre en avant. Dès lors il invente, d’une certaine façon, un dispositif assez curieux, une sorte de dialogue entre lui et ses amis. La première rencontre a lieu chez Luc Bérimont puis les autres dans son atelier de la Rue de l’Abreuvoir avec Jean Rousselot, Pierre Garnier, Gaston Diehl. Lors de ces rencontres, l’ami parlait de son ami. Tout se déroulait en présence de Roger, et ce dernier, statique, corrigeait ou complétait parfois le propos. Chacune de ces rencontres durait une matinée, tout était convivial et Marguerite Toulouse nous préparaient des repas pleins de saveur avec une gentillesse exquise. »
Marc Baconnet, écrivain inspecteur d’académie proche de l’artiste interviendra quant à lui en extérieur pour évoquer les sculptures de l’artiste. »
« Devant lui, j’étais dans mes petits souliers »
Comment Gérard Poitou a-t-il vécu cette aventure des plus rares ? « J’étais dans mes petits souliers, impressionné par cet artiste dont je découvrais avec admiration les premières de ses œuvres, celles antérieures à 1960. Cela dit, j’étais surtout impressionné par les échanges qui se déroulaient sous l’objectif, ils étaient d’une grande intimité et d’une élégance extraordinaire. J’aimais enfin tout ce que révélait ce pan d’histoire de l’art, avec l’évocation de l’école de Rochefort et la mémoire de Max Jacob. »
Contre vents et marée
Las. Irène Ajer va quitter la MCO, Pierre Muller lui emboite le pas alors que le film n’est pas fini. Une direction collégiale de la MCO est mise en place. Passion faisant et avec le soutien effectif de Roger Toulouse, Gérard Poitou continue de tourner. Enthousiastes, Gérard Poitou, Roger Toulouse et des techniciens iront même à Nantes filmer des œuvres figurant en collection privée et tout ce joli monde fera halte amicale et nocturne près de Clisson, à Monnières, au Moulin de la justice appartenant à ce grand amateur d’art qu’est le docteur Redor.
Souvenir encore amusé de Gérard Poitou : « Pour ce périple, le concessionnaire Renault nous avait obligeamment prêté la toute nouvelle Renault Espace dont Roger, fan de voitures qui roulaient vite, conducteur qui possédait lui-même une petite voiture de sport, un coupé Volkswagen, apprécia immédiatement la vélocité… »
Lorsque Claude Malric arrivera à la direction du Centre d’arts contemporains qui deviendra Scène nationale, le département audiovisuel de l’atelier ne figure pas dans le projet de l’Institution. Gérard Poitou, la société Mediacentre et Gérard Changeux décideront toutefois de poursuivre le tournage de « Roger Toulouse, peintre » qui aura duré cinq ans, de 1983 à 1988, pour trente minutes de paroles et d’images avec musique et judicieuses incrustations d’œuvres que n’avait de cesse de convoquer le peintre pour donner un tableau complet de ses intentions.
Aujourd’hui, la cassette couleur d’origine, témoignage qui mériterait d’être restauré, se trouve à Issoudun, aux archives de Ciclic, structure dédiée à l’audiovisuel en région Centre. On en retrouve des larges extraits sur le site des Amis de Roger Toulouse qui ont par ailleurs soutenu et produit, en 2014 le film d’Emilien Awada, « L’Ombre et l’Image. Éléments pour un portrait de Roger Toulouse (1918-1994) » où l’on retrouve les témoignages de Marc Baconnet et d’Anne-Marie Royer-Pantin.
« J’aurais voulu le voir plus »
Comment Roger Toulouse a-t-il reçu le film de Gérard Poitou et de Pierre Muller? « Je pense qu’il a surtout été heureux que l’on soit parvenu à finir ce grand projet, cette entreprise qui n’aurait jamais pu s’arrêter, tant il voulait sans cesse l’actualiser. Malheureusement, la technique vidéo d’alors ne le permettait pas. Pour tout dire, ajouts permanents et repentirs à répétition auraient fini par nuire à la qualité de l’image même ».
Que pense aujourd’hui Gérard Poitou, de cette collaboration avec Roger Toulouse ? « Le tournage a duré cinq ans, cinq années qui m’ont offert l’opportunité de le rencontrer régulièrement. Je dois avouer que j’aurais par-dessus tout aimé que toutes ces rencontres, dont le tournage était un prétexte, se soient poursuivies plus longtemps. Nous nous sommes revus après ce travail. Roger est venu à la maison et a même félicité gentiment mon fils pour ses dessins qu’il lui avait montrés. Oui, après sa disparition, je me suis dit que j’aurais voulu le voir plus, profiter davantage de la rencontre avec un tel homme. »
« Un film qu’il voulait de mémoire collective »
Que pense-t-il encore de l’exposition proposée au Théâtre d’Orléans proposée par Abel Moittié et Jean-Louis Gautreau?
« Roger Toulouse était à la fois très curieux de tout et rigoureux dans sa ligne de conduite très personnelle. Il ne se laissait pas avoir par les modes du temps et assumait sa marginalité. Chez Roger, il y avait du doute tout comme parfois de l’humour polisson. Cet artiste a manqué de reconnaissance, il était respecté mais n’était pas forcément perçu à sa juste valeur. Sa quête n’était pas celle de la célébrité. Ce film, il le voulait comme un film de mémoire collective, celle d’un groupe d’artistes de grande notoriété qui se reconnaissaient mais avec des égos très humbles. Roger était sûr de lui, curieux de la vie sociale. Cette exposition restitue bien le côté original d’une création et, de manière toute personnelle, les différents styles de l’œuvre d’une vie. Ce qui me touche, personnellement, est bien l’évocation, dans un lieu d’animation vivant, de cet artiste solitaire et ouvert, animé par une constante fidélité à sa propre recherche ».
Jean-Dominique Burtin.
*Gérard Poitou, responsable de la rubrique culture pour
magcentre.fr, récemment désigné pour rejoindre le conseil d’administration des Amis des Musées d’Orléans, et président de l’association Tricollectif, l’un des fers de lance de la création musical jazz à Orléans et au-delà, fut le gérant d’une société de production audiovisuelle, Prospective Image, avec laquelle il capta notamment la « Mass » , de Bernstein, donnée par l’Orchestre symphonique d’Orléans au Vinci, à Tours, sous la direction de Jean-Marc Cochereau. Il y était assisté, en régie, par
Simon Proust, brillant chef que l’on connaît aujourd’hui.
Exposition Roger Toulouse (1918-1994),
« Une création novatrice inscrite dans son siècle ».
Galerie du Théâtre d’Orléans. Jusqu’au au 18 mars 2018.
Du mardi au samedi, de 13 h à 19 h et les soirs de spectacle, jusqu’à 23 h.
En savoir plus : www.roger-toulouse.com