Chirac par Arnaud Ardoin: un journaliste ne devrait-il pas écrire ça…?

Fallait-il que Davet et Lhomme sortent leur ouvrage « Un président ne devrait pas dire ça » avant la fin du quinquennat de François Hollande, un ouvrage remarquable qui a participé à tuer dans l’œuf toute candidature du Président sortant ? Fallait-il que l’Orléanais Arnaud Ardoin, l’animateur de la Chaîne Parlementaire, qui a frotté ses premiers jeans de journaliste sur les bancs des rédactions orléanaises, attende la mort de Jacques Chirac avant de sortir son ouvrage ?

Sans comparer le contenu (ni  le tirage) des deux bouquins, la sortie de ces livres ressemble bien à chaque fois, c’est une évidence, à des “coups” d’édition.  Lorsque le Président Hollande s’est confié  aux deux journalistes du Monde, il ne prévoyait sans doute pas que cette somme de confidences ( une remarquable plongée au cœur de l’Elysée et un portrait édifiant de François Hollande, contrairement à ce qu’en ont dit ou écrit ses contempteurs qui pour la plupart ne l’ont pas lu), sortirait avant qu’il en ait fini avec sa vie élyséenne.

A la sortie du livre d’Arnaud Ardoin, « Un journaliste ne devrait pas dire ça » ont aboyé les cafés du commerce du net, accusant Ardoin d’être un « charognard », un opportuniste « du voyeurisme » parce que Chirac en fin de vie n’a pas encore passé l’arme à gauche (ou à droite).  C’est vrai que le Cherche Midi aurait pu judicieusement éviter le noir et racoleur linceul de la couverture accompagné de ce titre, « Président la nuit vient de tomber ».  En dégainant ce Chirac avant la disparition de l’ancien Président, l’éditeur évitait de fait avantageusement, l’embouteillage des bios dont l’encre est déjà sèche et qui sortiront dare-dare lorsque l’ancien Président aura lui-même tourné sa dernière page.

Il mange comme il fait l’amour

Arnaud Ardoin explique que ce livre a été écrit à la suite d’une rencontre  faite avec son dernier confident, compagnon de Jacques Chirac, Daniel Leconte, aujourd’hui disparu qui fut collaborateur de Jacques Chirac à la mairie de Paris puis chef adjoint de son cabinet à l’Elysée. L’objectif, parfaitement  réussi de ce livre, consistait à faire découvrir au lecteur l’autre Chirac. Qu’y avait-il derrière le Chirac de la première enveloppe, ce guerrier de la politique, dévorant la vie à pleine dents, croquant les femmes à un rythme effréné, chaud lapin des médias et des arrangements entre amis, Français moyen, “rad soc” sans conviction… .” Il mange comme il fait l’amour, sur le pouce, à n’importe quelle heure, n’importe quel plat, n’importe où. Comme un ogre qui n’est jamais rassasié, mais que cherche t-il au juste dans cette boulimie de corps et de sexe. Que nous raconte ce besoin permanent de séduire et de croquer dans le fruit défendu ?”. Au fil des rencontres en chiraquie profonde, Ardoin a gratté pour le découvrir.

L’expert du bronze chinois

« Il y a trois enveloppes chez Jacques Chirac : une première extérieure, c’est son image, la deuxième c’est le Chirac au quotidien, gros travailleurs méticuleux et une troisième, secrète, son noyau dur dans lequel il cache ses blessures, sa passion pour les arts premiers, sa spiritualité ».  Cette passion pour ces civilisations asiatiques, africaines, Arnaud Ardoin raconte qu’elle est venue de Christian Deydier, un galeriste de la rue de Seine à Paris qui l’a initié et qui a fait notamment de Chirac l’un des meilleurs experts au monde en bronzes chinois.  D’autres avant Ardoin avaient révélé cette facette d’un homme cultivé qui va à l’encontre du Chirac de la première enveloppe et qui a débouché en apothéose sur le merveilleux musée du quai Branly qui porte maintenant son nom.

Prisonnier du huis clos familial

Alors pour comprendre ce Chirac bien caché derrière cet belle et grande carcasse au charisme ravageur, Ardoin convoque l’enfance et l’entourage de l’ancien Président, sa fille Claude et Bernadette qui l’ont enfermé. « Prisonnier de ce huis clos familial Jacques Chirac est devenu sans en être vraiment conscient, l’esclave de lui-même écartelé entre plusieurs personnages qu’il fait cohabiter tant bien que mal et avec lesquels il a composé toute sa vie… ».

Pour brosser ce portrait intime sans en avoir rencontré la cible, Arnaud Ardoin a recueilli les confidences de plus  de 35 témoins, proches, compagnons, amis politiques.  On y retrouve Pierre Charron, Jacques Toubon Jean-Louis Debré bien sûr, Jean-François Lamour, Denis Tillinac, François Baroin dont il avait fait son fils spirituel à la mort  de son père Michel Baroin…Ses femmes aussi, de sa fille handicapée, Laurence, à des maîtresses qui ont failli lui faire tout plaquer et puis Bernadette qui n’a jamais fait une jaunisse de cette pièce de Marivaux joué par son couple… Tous disent que Chirac a passé sa vie à dissimuler, sous une carapace d’homme simple, humaniste, ancré dans la terre,  ses vrais pôles d’intérêt, ses jardins plus ou moins secrets spiritualité, les origines du monde, le Japon, l’orientalisme… . “Jacques Chirac a le corps d’un guerrier et l’âme d’un poète, c’est à la fois un rustique et un homme très fin ». François Mitterrand aussi mit du temps à découvrir la profondeur de Jacques Chirac, mais comme le confie Bernadette, l’ancien Président  n’a pas été pour rien dans l’élection de son successeur qu’il préférait au « petit marquis poudré » de Balladur.

Il refuse le choc des civilisations

Chirac aurait voulu passer sa vie à barouder, il voulait être archéologue. Au lieu d’embrasser cette vocation il se consolera quand même sur le terrain de la politique étrangère, notamment en refusant d’engager la France dans la guerre en Irak en 2003, « il fait un acte politique mais également un acte culturel…Il refuse le choc des civilisations, il refuse qu’on dresse le monde arabo-musulman contre le monde occidental », explique plus tard Jean-Jacques Aillagon en 2016 lors des dix ans du musée du Quai Branly.

En 2006, lorsqu’il avait présidé, le regard vide à l’inauguration du Cercil* à Orléans Jacques Chirac était déjà plongé dans cette maladie qui le ronge toujours onze ans plus tard. A l’époque, des commentateurs éminents le soupçonnaient de jouer au malade imaginaire afin d’éviter la comparution devant un tribunal pour les emplois fictifs de la mairie de Paris. Comment aurait-il pu jouer la comédie à ce point, lorsque, nous en fumes les témoins, la maladie  lui avait fait présenter Simone Veil à Serge Klarsfeld en leur demandant, épisode tragi-comique, « vous vous connaissez ? ».  Jacques Chirac dont justement ce regard emphatique qu’il plongeait dans le votre a tant fait pour la ferveur qu’il a suscité, souffre d’anosognosie, trouble neurologique qui lui fait perdre conscience de sa maladie Alors Daniel Leconte, avant de disparaître lui a servi de  béquille intellectuelle en permettant longtemps  à Chirac de recevoir des visiteurs  illustres et de faire encore illusion.

Les mains de Chirac

Chez Chirac il y avait le regard mais aussi les mains. La main, celle qui passe de la fenêtre de la voiture, le soir de son élection, la main qui écrase avec chaleur celle d’un paysan corrézien.  Dans ce chapitre des « forces de l’esprit », Arnaud Ardoin va plus loin, et là on n’a plus de mal à le suivre, en prêtant à Jacques Chirac des forces occultes et des pouvoirs puisés à de lointaines sources corréziennes.

Plusieurs fois la rumeur, notamment en 2016 sur internet et par le biais d’une Christine Boutin, depuis boutée hors la politique, Jacques Chirac a été donné pour mort.

François Mitterrand avait obtenu de son entourage de passer son dernier Noël à Assouan, au Old Cataract, cet hôtel de légende, pour partir avec cette merveilleuse image du Nil nimbé de felouques alanguis. Jacques Chirac lui, aurait rêvé de retrouver le palais prêté par le roi du Maroc à Agadir. La dernière fois qu’il y a passé quelques jours, il a du être rapatrié en urgence après un malaise.  La nuit finira bien par tomber vraiment un jour.  Ce jour là l’ancien président ne lancera pas goguenard, « j’espère qu’elle ne s’est pas fait mal ».  Ni Daniel Leconte, ni Jacques Chirac ne seront plus là pour en rire.

Ch.B

  • Arnaud Ardouin sera l’invité du déjeuner-débat du Club de la presse Val de Loire,  et de Com’45, vendredi 17 novembre à 12h 15 au Studio 16 à Orléans.
  • Président, la nuit vient de tomber » par Arnaud Ardoin. Au Cherche Midi. 19€
  • Arnaud Ardoin, journaliste à LCP (La Chaine Parlementaire) est aussi écrivain. Il est l’auteur de AZF (Editions du Rocher) et La Chute des idoles (Michalon).
  • -Cercil : Centre d’études et de Recherche sur les camps du Loiret (Pithiviers, Beaune-la-Rolande et Pithiviers).

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