Entre Dauphiné et Provence, on prend plaisir à visiter le pays de Dieulefit-Bourdeaux en vélo électrique. Un parcours résolument écolo agrémenté par le chant des cigales et les dégradés mauves et bleus des champs de lavande.
« Un goût d’air libre », tel est le nom de la ferme agro-écologique, qui inaugure notre programme de visite : tout un symbole. Sabine Couvent et Emmanuel Extier se sont installés voici huit ans à la Bégude de Mazenc. « Nous sommes en autonomie quasi complète », annonce Sabine autour du bien nommé « bar à thym ». Tout en servant des sirops à base de thym, de romarin ou de rose, elle raconte le projet du couple : la culture de plantes aromatiques et médicinales ; la production d’électricité à partir de panneaux solaires ; le nettoyage des eaux usées par phyto-épuration. Les néo-paysans n’ont pas mis tous leurs œufs dans le même panier. Ils se sont aussi lancés dans les légumes et le raisin bio. « Vous avez été facilement acceptés ? » « Oui, assure-t-elle. Dans le coin, les Drômois d’origine sont assez peu nombreux. Beaucoup de jeunes sont venus au fil des ans s’installer en renouvelant les pratiques agricoles. » De fait, la Drôme s’affiche comme le premier département Bio de France par le nombre d’exploitations. Par ici, « la sobriété heureuse », chère à Pierre Rabhi prospère.
Incitation à pédaler au plus près des champs de lavande vers Poët-Laval © YH
Nous embrayons en douceur sur nos vélos à assistance électrique (VAE). La route plonge entre les champs de lavande et de lavandin. La randonnée cycliste prend alors des allures de parcours olfactif. De-ci de-là, nous repérons un vol d’intrus sur les sillons de tiges violettes. « Comme d’autres régions, signale Aline, notre accompagnatrice, la région est infestée par la pyrale du buis. Et les papillons issus de ces chenilles dévastatrices ont l’air de s’intéresser de manière inquiétante aux champs de lavande »…
Sirops et nectars
Nous gravissons les calades du joli village perché de Pont-de-Barret avant une pause revigorante. Corinne et Gérald Puraly nous attendent à la cave Patafiole autour de caillettes – délicieuse spécialité locale à base de viande de porc mélangée à des épinards ou des herbes (sarriette, pissenlit, feuilles de coquelicot, … – et de quelques bouteilles. Blancs, rouges et rosés, le plus souvent bio, se succèdent dans les verres : côtes du Rhône du domaine La Bouvaude ou vins de l’appellation Brézème, qui gagne à être connue. Nous terminons la dégustation légèrement « patafiole », ce qui signifie en provençal un brin pompette.
Décidément, le bio se décline dans une infinité de produits. À preuve, nous posons nos vélos au Laboratoire des sources situé à Souspierre, où Cora Lafont nous présente toute une gamme de cosmétiques naturels. À quelques encablures, un couple trentenaire, Cynthia Guerrerro et Rémi Jacquier vante les qualités de leur bière artisanale bio, brassée localement, « La Vieille Mule ». « Nous utilisons l’eau de source et de l’orge bio. Pour le houblon, nous bénéficions d’une dérogation car le bio est plus difficile à trouver », nuance Cynthia. Quatre années d’efforts ont été récompensés : leur bière « India Pale ale » (IPA) a reçu une médaille d’or au Concours général agricole de Paris.
Pic et Pic… et Picodon
Plateau de Picodon, fromage de chèvre du cru © YH
Nous saluons au passage Le Poët-Laval. Le village fortifié de 900 habitants et son château médiéval édifié par les Hospitaliers au début du XIIIe siècle domine les environs. Il attire les regards… et les visiteurs, profitant de son classement parmi les plus beaux villages de France. Nous filons à présent vers la ferme de Pracoutel. Hervé Barnier rassemble son troupeau – 150 Alpines chamoises – et le ramène vers la chèvrerie. À la belle saison, les chèvres pâturent dans les prés. L’hiver, elles sont nourries avec du foin et des céréales bio. « Cela fait trente ans que je suis exploitant », confie-t-il encore, avant de préciser qu’il est l’un des responsables du syndicat du Picodon. Le Picodon ? Un fromage AOC de chèvre au cœur tendre et au goût subtil que 190 producteurs de la Drôme et de l’Ardèche proposent sur les marchés. À la ferme, Hélène Barnier, détaille les différents Picodon affinés d’une semaine à trois ans. Elle insiste sur la « méthode Dieulefit », « un affinage long entrecoupé de lavages à l’eau claire qui donne au fromage un goût plus prononcé ». Dernier coup d’œil attendri vers les bâtiments où les jeunes chevreaux sont allaités au biberon.
Halte à Dieulefit où le cimetière réserve une curiosité : il dispose d’une entrée pour les catholiques et d’une autre pour les protestants. Si les guerres de religion restent présentes dans les mémoires, au moins les adversaires irréductibles d’antan partagent-ils dans un lieu unique leur dernier repos. Dieulefit fut aussi une ville d’accueil durant la Seconde guerre mondiale. Sept de ses habitants furent reconnus « Justes parmi les nations ». Parmi de nombreux intellectuels, le poète et futur académicien Pierre Emmanuel y trouva refuge jusqu’à la Libération. « Dieulefit, le pays où nul n’est étranger », déclara-t-il plus tard en forme d’hommage.
Il est temps de goûter aux joies d’un goustarou, le pique-nique local. Nous grimpons jusqu’au col de la tour de Blacon (515 mètres) qui offre un joli panorama sur les vallées environnantes. Jérôme Roux joue le guide et l’amphitryon. Il a emmené avec lui quelques unes des productions de son Domaine Serre des vignes : de succulents abricots aux reflets rouges, des Orangered, qui rivalisent côté saveur avec la variété Bergeron. Sans oublier quelques bonnes bouteilles de vin. « Nous n’avions jamais désherbé les vignes et nous utilisions le fumier, alors nous n’avons pas eu beaucoup d’efforts à faire pour passer en bio. La conversion s’est amorcée en douceur en 2008 et nous avons obtenu le label en 2011. »
Dernier arrêt chez un jeune couple de lavandiculteurs, Emmanuel Chauvin et Aurélia Spitaëls au Domaine du Chardon bleu. « Nous faisons également de la vigne, indique Aurélia, mais nous nous consacrons de plus en plus à la lavande et au lavandin. » Ce dernier, issu du croisement de plusieurs lavandes, présente l’avantage de fournir de meilleurs rendements : 100 kilos de lavandin récoltés sur un hectare cultivé contre 30 kilos de lavande seulement. Les huiles essentielles sont un débouché prisé. « Alors que l’huile essentielle de lavande est plus douce et fine et donc appréciée des parfumeurs, l’huile de lavandin est camphrée et plus âcre, mais très utile comme barrière antimites ou anti-insectes. » Est-il besoin de dire que la lavande, fleuron de la Drôme provençale, embaumera nos esprits bien après le retour dans nos pénates ?
Yves Hardy.
Pratique
Y aller. Paris-Montélimar en TGV (2h 50), puis vélo à assistance électrique.
Y séjourner. Hôtel « La Cachette » à Dieulefit. www.hotellacachette.fr
Y déjeuner. Restaurant « La Barigoule » à Dieulefit. Tél : 04 75 46 37 36
À déguster : les bières artisanales de « La Vieille Mule » au Poët-Laval. Tél : 06 16 57 37 11 ; les vins de la cave « La Patafiole » à Pont-de-Barret. Tél : 06 83 00 98 12 et ceux du Domaine « Le Serre des Vignes » à La Roche-St-Secret : www.serredesvignes.com ; sans oublier les délicieux Picodon (fromages de chèvre) de la ferme de Pracoutel à Vesc. Tél : 04 75 46 48 35.
Souvenirs. Huiles essentielles de lavande et de lavandin du « Chardon Bleu » à La Roche-St-Secret. www.domaine-chardonbleu.com
À lire. « Irrésistible Picodon : 20 recettes créatives », par Cécile Tabarin et Philippe Barret (Ed. Syndicat du Picodon AOP) www.picodon-aop.fr
Guide. « Drôme-Ardèche » (Le Petit futé, 9,95 €).
Renseignements. Office de tourisme du pays de Dieulefit-Bourdeaux. Tél : 04 75 46 42 49 www.paysdedieulefit.eu et Agence départementale touristique de la Drôme : www.ladrometourisme.com