Des trois capitales des pays baltes, le port de Riga, capitale de la Lettonie, est sans aucun doute la ville qui marque le plus agréablement le souvenir du visiteur tant cette ville sait séduire par sa beauté et sa diversité culturelle. Peut-être que le charme des femmes couronnées de fleurs pour la Saint Jean, fête du solstice célébrée dans une contrée où le soleil tarde tant à se coucher, y contribue aussi pour l’occasion, mais l’extraordinaire richesse architecturale de cette ville aux vastes parcs, est fascinante comme une sorte de musée à ciel ouvert des styles qui ont marqué l’Europe du Nord et son histoire mouvementée, au fil des siècles.

A droite, Saint Maurice, l’éthiopie
Une architecture marquée par l’histoire
De la maison au style très flamand des Têtes Noires, référence à Saint Maurice, martyr noir éthiopien et saint patron de la guilde des marchands allemands célibataires qui logeaient dans ce bâtiment, réplique de celui construit en 1344 et bombardé par les allemands en 1941 puis rasé par les soviétiques qui n’aimaient pas les marchands, en passant par les églises et temples (les synagogues ont disparu durant l’occupation nazie) jusqu’au Palais de la Culture et de la Science, copie réduite de celui de Varsovie ou de Moscou, qui marque ici une occupation soviétique dont quelques statues illustrent encore ce “réalisme socialiste” voulu par Staline, la déambulation sous le soleil de l’été dans les rues et parcs de Riga offre quelques autres étonnantes curiosités comme cet opéra monumental, construit par les allemands au XIXe siècle, ou le grandiose monument de la Liberté surnommé “Milda” .

Mais le point d’orgue de cette visite est évidemment, le passage par Alberta Iela, rue entièrement composée de façades “Art Nouveau” d’une exubérance et d’une richesse ornementale qui illustrent la prospérité du port de Riga à la fin du XIXe siècle.
L’Art Nouveau (qu’on appela « style nouille » à Paris en référence aux stations de métro d’Hector Guimard) accompagne le formidable essor économique de la « Belle Epoque », mouvement architecturale soudain, rapide, qui profite des avancées technologiques et qui connaît un développement international sur une période relativement courte de 1880 à 1910. L’Art Nouveau (Modern Style en anglais) introduit ainsi une modification radicale de l’inspiration décorative en plaçant la nature au centre des représentations sous la forme d’un art total qui occupe tout l’espace disponible, y compris mobilier, pour mettre en place un univers sensible, conçu comme propice à l’épanouissement de l’homme moderne à l’aube du XXe siècle.
Un architecte de l’art nouveau…
Au total on dénombre plus de six cents bâtiments de style Art Nouveau à Riga, ce qui en fait sans doute sur ce plan, l’une des villes les plus riches d’Europe (dommage que la ville n’ait pas prévu un itinéraire de visite plus complet comme cela est proposé dans d’autres villes européennes), avec une diversité représentative de l’évolution rapide de ce style architectural comme le montre la rue Alberta qui réunit des façades flamboyantes à des ornementations beaucoup plus épurées dans une recherche d’imitation directe de la nature.
En revanche, une rapide visite du petit musée local consacré au intérieurs “Art nouveau” permet d’apercevoir quelques mobiliers et décors intérieurs visiblement très loin de la qualité de ce que l’on peut voir notamment à Nancy.

Mais si à Barcelone, l’Art Nouveau a son maître avec Gaudi, Riga associe ce style à un autre grand nom: Mickhaïl Eisenstein, architecte russe venu en Lettonie, à l’époque province de l’Empire Russe, profiter de la demande de logements modernes et confortables destinés à une bourgeoisie rapidement enrichie.
Homme d’une grande culture et passionné de théâtre et d’opéra, l’architecte Mickhaïl Eisenstein, excelle dans ces représentations mythologiques illustrant des décors à l’ornementation qui privilégie les lignes courbes et l’harmonie des couleurs selon les canons de l’Art Nouveau. Mais plutôt que dans les représentations stylisées de la nature, Mickhaïl Eisenstein puise son inspiration dans la thématique plus figurative d’une statuaire gréco-égyptienne, alors très à la mode en Europe (on pense à l’Aïda de Verdi), dans laquelle les habitants de Riga, plus prosaïques, s’amusaient à retrouver les visages des actrices les plus renommées de l’époque…

… et son fils
Mais on ne peut évoquer Mickhaïl Eisenstein sans penser à son illustre fils, Sergei, le cinéaste dont l’œuvre a révolutionné l’esthétique de la création cinématographique du XXe siècle. Contrairement à son père qui fuira la Russie pour Berlin en 1917, le jeune Sergei prendra le parti des bolchéviques pour lesquels il réalisera ses plus célèbres films de propagande .
Pourtant Sergeï va garder ce goût pour les références culturelles prolifiques de son père qu’il a vu travailler à Riga: dans l’un de ses plus célèbres film “le Cuirassé Potemkine”, à l’issue de la célébrissime scène des escaliers d’Odessa* où l’armée tsariste tire sur la foule venue manifester son soutien aux marins mutinés, après que le landau abandonné eut dévalé les marches, on découvre soudain un lion couché directement inspiré d’une façade de Riga, lion qui se dresse comme symbole de la révolte du peuple russe et/ou hommage à son père…
Ajoutons que Sergei Eisenstein devenu idole intouchable du régime soviétique, était lui aussi un boulimique extraordinaire de culture, et dans ses périodes de disgrâce stalinienne (il y en eut), il voyagea beaucoup et écrivit, en plus de son œuvre cinématographique, un nombre considérable de textes et d’essais sur l’art et la culture.
Tel père tel fils, en quelque sorte !
Gérard Poitou
Article repris de la gazette de l’association Loire Vistule
*On peut visionner la scène sur Youtube :