Le président de l’AMRF (Association des Maires ruraux de France), maire de Gargilesse-Dampierre (Indre) Vanik Berberian s’exprime sans filtre sur le résultat de cette Présidentielle hors normes, et souhaite que le logiciel change aussi dans la perception des dirigeants du pays sur la ruralité.
Magcentre : Que pensez-vous de cette élection hors normes à tous points de vue ?
Vanik Berberian : C’est tout à fait hors norme. Mais le bon présage à y voir c’est le sentiment d’arriver à une fin de cycle. Il n’y aura un renouveau que s’il y a un changement de méthode, une manière d’être, l’incarnation politique. Les politiques qui squattent les plateaux télé depuis 30 ans, les Français n’en veulent plus. Les gens comme moi qui rament dans la ruralité fondent quelques espoirs… D’ailleurs, cette campagne, je l’ai surtout regardée sous l’angle de la ruralité justement, ou de la commune. Les programmes, il faut les regarder avec distance, car c’est plus qu’aléatoire. Cela dit je suis un peu inquiet sur la question de la ruralité, car j’ai bien senti que ce n’était pas à priori la tasse de thé d’Emmanuel Macron et son équipe. Souvent, les candidats commencent à parler ruralité, et deux minutes après ils parlent d’agriculture. Or ce n’est pas que ça, la ruralité, justement.
Magcentre : Est-ce une des raisons pour lesquelles vous aviez émis une préférence pour Jean Lassalle ?
V.B : La question m’a de nombreuses fois été posée. Il faut remonter au moment des parrainages. Je ne pouvais pas, en tant que président des maires ruraux, m’engager sur tel ou tel candidat car ça aurait trop engagé l’AMRF. Mais pour Jean Lassalle je l’ai fait. J’ai toujours dit qu’un candidat qui se présenterait devant moi avec 499 signatures, je serais la 500e, au nom du débat démocratique. Je savais que lui au moins amènerait la question de la ruralité. Pour le second tour, c’était différent. Une association des maires n’appel pas à voter pour un candidat d’ordinaire. Mais là, les idéaux de la République étaient en danger. Cela dit, c’était un « oui, mais » pour Emmanuel Macron.
Magcentre : Est-ce qu’Emmanuel Macron réussit là où François Bayrou avait échoué ?
V.B. : Tout à fait. François Bayrou a toujours eu raison avant les autres. C’est ce qui m’a fait l’écouter. Je suis plutôt du centre-gauche, quand il a commencé à prendre ses distances avec la droite, je l’ai trouvé courageux. Ce qu’il disait, c’était ce qu’on fait nous tous les jours dans les communes rurales, il était sensible à ça. Une station d’épuration, elle n’est ni de droite, ni de gauche : elle fonctionne ou pas ; c’est ça notre quotidien. Lui, il avait une lucidité sur le pays, et fait la synthèse entre une France urbaine et techno et en même temps il a une connaissance charnelle de la ruralité.
Magcentre : L’ampleur du vote FN dans la ruralité va-t-elle se confirmer dans ces législatives qui se profilent ?
V.B. : Le vote FN est l’expression d’un malaise, et d’une attente. Le sujet c’est ça. Le vote FN, c’est un socle de gens qui votent Marine Le Pen et son programme. Et un socle qui vote pour elle parce que ça va emmerder les autres. Le territoire et les communes, c’est rarement un sujet pour les politiques. On le paie.
Magcentre : Vous opposez souvent les élites urbaines dirigeantes et les réalités sociales rurales : une fracturation que le nouveau Président Macron pourra réparer et si oui comment ?
V.B. : Son slogan c’était : « Ensemble la France »… donc avec la ruralité. Il y a une méconnaissance de cette ruralité. La question n’est pas d’aimer ou de ne pas aimer. Quand on l’interroge sur le sujet, on sent, comme chez tout le monde, qu’il y a une vraie affection pour les territoires ruraux, ils renvoient à notre propre histoire, notre passé, un rapport charnelle pour beaucoup. Après, dans les actes il ne se passe rien. Nous, ce qu’on attend, c’est un plan d’investissement des territoires ruraux, pour un équilibre du territoire. Depuis longtemps, on a exagéré la dimension urbaine. La notion de ruralité commence à percuter au niveau des dirigeants politiques. Plusieurs exemples : au moment des élections régionales de 2015, le président de l’ARF (Association des Régions de France) avait demandé à me voir. Le président de l’AMIF (maires d’Ile-de-France) aussi ; lui il me dit : j’ai 80 % de territoires ruraux, je ne sais pas comment leur parler : aidez moi. Pareil pour le président du Grand Nancy. Dernièrement, c’est la directrice de cabinet de la maire de Paris, qui souhaite savoir comment travailler entre Paris et la province. Il y a une prise de conscience à cause des votes FN successifs.
Magcentre : On parle beaucoup de la future Assemblée nationale, mais il y a aussi le Sénat, où sont bon nombre de maires ruraux. Lui-même n’est pas un ex-élu local, pour vous c’est une limite, une force dont il saura se servir ? Comment prendre en compte la voix des maires ruraux, leur expérience et expertise du terrain ?
V.B. : C’est un sujet qu’on devra travailler avec lui. La première étape est passée. Les législatives, on ne sait pas ce qui va en sortir mais quoiqu’il arrive le contexte sera nouveau. On ne pourra plus lire l’actualité avec « hier » mais avec ce qui est nouveau. Dans l’AMRF, les gens sont de partout et de nulle part. Il y a toutes les formes de représentation. La question des maires ruraux est essentielle, on peut lui apporter des répondes sur la ruralité. Je le crois suffisamment intelligent pour comprendre ça.
Magcentre : La place de l’éducation et de la culture en milieu rural serait-elle une clé du recul du vote FN ? Même si c’est difficile, on voit dans certains territoires ruraux qu’il peut exister une offre culturelle de qualité…
V.B. : Sans doute. La place de la culture et de l’éducation est essentielle. Ce qui m’attriste en discutant avec le FN, c’est qu’il y a plein de gens simples, du quotidien, pour lesquels je n’ai pas d’explication. Or on ne soupçonne pas tout ce qui peut se passer dans la ruralité : savez-vous qu’il y a un festival de harpe à Gargilesse depuis 50 ans ? Il se passe des choses… Souvent, le problème c’est qui y va ? Les gens simples disent que ça n’est pas pour eux, ou pour les touristes. Je crois qu’il faut aussi travailler sur le mot « rural » lui-même, fabriquer une autre image de la ruralité. Quand on dit rural, on nous renvoie systématiquement au XIXe siècle. La ruralité, ce n’est pas que les chemises à carreaux et la nostalgie.
Propos recueillis par F. Sabourin.