Le mythe du débat décisif

                                                                                                                                                                                                                                                                                       Par Pierre Allorant

La préhistoire du débat

Depuis 1974 et l’élection au finish de VGE contre Francois Mitterrand, un mythe circule dans la vie politique française : le débat télévisé de l’entre-deux-tours serait décisif sur le résultat de la présidentielle. En réalité, rien n’est moins sûr, et au risque de cultiver le paradoxe, on pourrait à l’inverse défendre que jamais la télévision n’a eu autant d’influence qu’avant la mise en place de ce rite. Effectivement, en 1965, la mise en ballottage surprise du général de Gaulle a été facilitée par son dédain d’avant premier tour envers son temps officiel de parole dans les “étranges lucarnes”, et son rebond au second affermi par ses entretiens réussis avec Michel Droit. De même en 1969, l’effondrement de Gaston Defferre et le succès d’estime du jeune Michel Rocard, et surtout la percée du truculent Jacques Duclos ont beaucoup dû à leur maîtrise de l’outil télévisuel. Enfin, l’issue du duel entre “bonnet blanc et blanc bonnet”, le néo- gaulliste Pompidou et le centriste Poher, a été pour une grande part accentuée par l’aisance pateline et cultivée du normalien de Montboudif, contrastant avec le peu de facilités oratoires du President du Sénat.

Le moment fondateur : les duels flamboyants de 1974 et 1981

Provoqué par le décès brutal du président Pompidou, le scrutin de 1974 donne une influence croissante à la télévision, à l’heure du passage du noir et blanc au poste en couleur. Aidé par les révélations du Canard enchaîné sur la feuille d’impôts de Chaban, allégée par l’avoir fiscal, VGE crève l’écran par son aisance pédagogique à présenter les chiffres d’une économie française qui commence alors à être touchée par la crise. Ses quelques centaines de milliers de voix d’avance sur le candidat unique de l’union de la gauche résultent-elles vraiment de sa flèche sur le “monopole du coeur” décochée contre Mitterrand ? On ne le saura jamais. En revanche, plutôt qu’au match retour du débat et à son attaque contre “l’homme du passif”, Francois Mitterrand a indéniablement bénéficié d’une meilleure maîtrise des caméras, et surtout à crevé l’écran et modifié son image, mais à deux autres moments : lors d’un “Apostrophe” mémorable où, stimulé par les questions de Bernard Pivot, l’ancien collégien d’Angoulême qui se rêvait écrivain éblouit l’émission de sa culture ; et lors d’un “Cartes sur table” où il fait la preuve de sa stature d’homme d’Etat en rejetant le pacifisme unilatéral du bloc de l’Est et davantage encore en se positionnant courageusement contre la peine de mort, faisant fi des sondages d’opinion.

La routine et l’oubli

Depuis 1988, les débats d’entre-deux-tours sont entrés dans une forme de banalisation, à l’exception notable de la rupture de l’usage en 2002 par le refus de Jacques Chirac de débattre avec le candidat d’extrême-droite. Qui peut citer une formule marquante, ciselée, du soporifique débat Chirac-Jospin de 1995 ? Du face à face tendu Sarkozy-Royal de 2007 ? Quant à 1988, duel des cohabitants durci par le terrorisme iranien, et à 2012 et à l’anaphore devenue culte, “moi, président”, il est plus que probable qu’ils n’ont déplacé que fort peu de voix.

Le débat inédit : la double banalisation de 2017

En sera-t-il de même en 2017 ? Deux grandes nouveautés de ce cru : la multiplication, jusqu’à l’overdose, des débats télévisés lors des primaires de droite puis de gauche, et avant le premier tour, pour la première fois, avec une banalisation de la présence de la fille du pestiféré de 2002.

Ce débat d’une élection si riche de surprises depuis six mois sera-t-il enfin décisif ? C’est peu probable, même si à l’évidence Fillon et Hamon lors des primaires, puis Mélenchon avant le 23 avril ont vu leur dynamique renforcée par des prestations réussies. Le fait que les indécis, y compris les “insoumis”, et les potentiels abstentionnistes soient nombreux ne modifie guère l’enjeu, tant il est fort improbable que le débat décide 1/10e de l’électorat français à inverser dans le même sens son choix. Une réduction, ou un élargissement, d’un % de l’écart entre le favori et la challenger n’est pas de nature à bouleverser la donne du 7 mai.

En revanche, en terme de posture, d’image et d’élan pour le début du quinquennat, voire de dynamique en vue des prochaines élections législatives, un débat jugé réussi est important. L’enjeu pour Le Pen est de renforcer une crédibilité très atteinte par ses palinodies sur le retour retardé au franc et par ses arrangements politiciens avec le “Napoléon le petit”, le petit Nicolas Dupont-Aignan, disposé à troquer sa posture gaulliste contre un plat de sesterces, et tant pis pour l’honneur et la décence minimale, tant pour lui Yerres ne sera plus demain.

La quadrature du cercle majoritaire.

Jean-Louis Borloo au journal de France2.

Plus fondamental pour l’avenir d’un pays divisé et territorialement fracturé, quelle politique, quelle majorité et quelle équipe pour appliquer le programme ? Sur ces points, on commence à y voir un peu plus clair du côté du centriste progressiste, sélectionneur des “meilleurs” éléments et de gauche réformiste et de droite européenne ou gaulliste. L’offre de service de Borloo, réformateur pragmatique et consensuel, la disponibilité de Le Maire, la popularité de Le Drian commencent à dessiner les contours d’un XV gouvernemental destiné à préparer des législatives afin de transformer l’essai présidentiel. A défaut, une cohabitation ne serait pas le plus probable, n’en déplaise aux ambitions rivales de Baroin et de Mélenchon. Le plus plausible serait que le gouvernement soit contraint de godiller de majorités d’idées à la Edgar Faure en majorités relatives à la Rocard 1988. Après tout, il est des précédents moins honorables.

P.A

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    • matin 7°C
    • après midi 16°C
  • jeudi
    • matin 9°C
    • après midi 20°C
Copyright © MagCentre 2012-2025