Le film de Kaurismäki invente un genre cinématographique aussi étrange que jubilatoire, entre la fable et le documentaire. De la fable, il prend cette liberté narrative qui l’autorise à décrire un petit monde hors du temps, où se tissent de curieuses relations humaines entre des personnages qui vivent une sorte de pastiche de la vraie vie, celle qui justement fait irruption avec Khaled, le réfugié syrien qui a fui Alep. Avec lui s’impose un style documentaire qui nous fait découvrir l’itinéraire de cet homme que la police va décider de renvoyer dans son pays, alors qu’en toile de fond, les images d’un reportage télé nous montrent les ruines fumantes de sa ville natale.
Les deux univers s’entrechoquent visuellement: quand la fable nous offre des images à la lumière chaude et sophistiquée, le centre de rétention où atterrit Khaled nous plonge dans un univers terne et glacé. Avec la rencontre de ces deux récits contrastés, parsemés d’interludes de rock finlandais aux paroles décapantes, et la réunion de ces deux personnages, entre Wikhström, un VRP grisonnant et décati qui cherche à changer de vie en rachetant un restaurant exotique et Khaled, le réfugié qui cherche désespérément sa sœur, une communauté de destin va se nouer, celle que l’on appelle la solidarité.
Et c’est bien le génie de conteur de Kaurismäki que de nous “raconter” la solidarité, pas de nous l’expliquer par des discours moralisateurs, juste en mettant en scène cette double histoire qui reste toujours à fleur de vie, entre humour subtil et tragique insupportable. L’hospitalité à l’égard des réfugiés n’est pas un supplément d’âme, c’est plutôt une sorte d’arrangement avec la vie qui fait se croiser deux histoires, deux fragilités si différentes soient-elles.
Et si la compassion venait de la conscience de la précarité de nos destins ?
Gérard Poitou