Un P.-S., c’est souvent ce que l’on ajoute à la fin d’une lettre, en complément, à la suite d’un oubli, en guise de cerise sur le gâteau épistolaire. Pour le PS aujourd’hui, le problème n’est plus la cerise, mais l’absence de gâteau, le sentiment d’un post-scriptum qui prendrait des allures de faire-part post-mortem. Il est vrai que l’annonce de décès de ce parti, la « vieille maison » de Jaurès et de Blum repeinte aux couleurs de l’union de la gauche et du programme commun par François Mitterrand en 1971-72, a été maintes fois publiée. Mais
dans cet entre-deux-tours d’une primaire mal préparée et mal engagée, la structure étiolée et fracturée de Cambadélis est réellement au milieu du guet, en très mauvaise posture.
Pierre Allorant
Bal tragique à Solférino

Chacun le savait et le disait, le premier enjeu pour ce parti de gouvernement, éreinté après un quinquennat de tâtonnements et de fronde, était au minimum de réussir à organiser dignement sa sortie. Ce que le Président de la République a relevé – le défi d’être enfin à la hauteur de la fonction présidentielle par le renoncement à une candidature vouée à l’insuccès – le parti qu’il a dirigé une décennie est en train de le rater. Comment expliquer au courageux million et demi de citoyens encore assez motivés pour braver le froid dimanche dernier qu’une organisation qui a monopolisé, jusqu’aux débâcles électorales en cascade depuis 2014, les régions, les deux tiers des départements, la plupart des grandes villes et les deux chambres du Parlement, s’avère incapable de comptabiliser correctement les votants, au point de se croire revenu au temps funestes des petits arrangements entre ennemis de congrès et d’achats frelatés de cartes ?
Le plus ridicule est de ruiner ainsi les maigres chances d’élan transmis au vainqueur de dimanche prochain, déjà lourdement plombé d’une participation poussive, d’un antagonisme rude entre « possibilistes » et utopistes, ceux qui croyaient au revenu universel et ceux qui n’y voyaient que rideau de fumée de cannabis et opium du peuple.
Le crépuscule des influents, ball-trap et centrifugeuse
Alors que le Premier ministre sortant, l’ex-populaire ministre de l’Intérieur Manuel Valls semble se débattre dans une nasse, continuant à creuser lui-même le piège des « gauches irréconciliables », on peut s’interroger sur le maintien de l’influence des grands élus, ces notables qui gardaient la main sur les congrès et les investitures, et qui, pour la plupart, exceptée la rancunière Martine Aubry, le soutenaient. Certes, on relèvera ici ou là, y compris en Berry et en Val de Loire, la trace du soutien de tel maire, parlementaire ou ministre, mais c’est à la marge, avec une valeur ajoutée de la largeur de trait du pourcentage. Ainsi à Orléans, le succès net de Benoît Hamon, comme dans la plupart des villes, tient avant tout à son pari du renouvellement, de la fusion des exigences sociales et écologiques, tentative de synthèse et désir d’avenir d’une social-démocratie partout mal en point.
Décidément, cette campagne de toutes les surprises nous fait bien changer d’époque, politiquement du moins. L’expérience des responsabilités, le soutien marqué de personnalités qui comptent, le fait d’avoir déjà brigué la fonction suprême, loin d’être mis au crédit des postulants, constituent en pratique des obstacles rédhibitoires à leurs ambitions. Après avoir sèchement écarté Sarkozy, Juppé, Hollande, Duflot, ce sont désormais Montebourg et probablement Valls qui sont poussés dans l’ascenseur pour l’échafaud. On savait les Français peuple régicide depuis 1793, les voici comme déterminés à raboter toute tête qui dépasse : « la table rase, c’est maintenant », et leur slogan pourrait paraphraser le discours du Bourget : « mon ennemi, ce sont les sortants ! »
Le mistigri des sortants
Précisément, pour qui le succès de Benoît Hamon est-il une « divine surprise » ? Sans doute, avec malignité, pour les proches de François Hollande remontés contre « Brutus », le locataire de Matignon qui a poussé le Président sortant à être le premier de la République gaullienne à ne pas se représenter. Ils devraient pourtant l’en remercier, car comment imaginer que le référendum implicite sur le bilan du quinquennat aurait pu déboucher sur un autre résultat qu’un humiliant impeachment de fait ? Mélenchon ? « L’insoumis », moderne Blanqui, n’a pas tout à fait tort de s’interroger sur l’intérêt d’une candidature issue du PS, alors qu’il occupe bien son flanc gauche, et Emmanuel Macron son flanc droit, en libéral assumé. Mais la présence de Benoît Hamon vient directement lui contester sa part de marché sociale et écologiste. En revanche, le leader d’En Marche ! continue de marcher sur l’eau, avec une réussite, une chance qui ne sourit qu’aux audacieux de son espèce : qui aurait pu, fin août dernier, au moment de sa démission du gouvernement, penser que non seulement son pari de l’empêchement de Hollande se vérifierait, mais qu’Alain Juppé, l’idole girondin du centre-droit et des classes moyennes aisées, serait balayé par le conservatisme et le programme économique brutal de François Fillon ? Que Manuel Valls, son concurrent sur le créneau de la « modernisation progressiste », serait à ce point handicapé par l’endossement forcé du terne bilan du quinquennat ?
Enfin, revoici la cerise sur le gâteau : dans cette campagne qui prend l’aspect d’un règlement de comptes d’une opinion publique très remontée contre tous les gouvernants, d’hier et d’avant-hier, qui est désormais le seul postulant à porter la croix du bilan d’un quinquennat contesté ? L’ancien premier ministre loyal de 2007 à 2012, le « collaborateur » jamais en désaccord ouvert avec Nicolas Sarkozy. Ce fardeau-là risque de peser très lourd lors du jugement final des électeurs le 7 mai. La veille d’un 8 mai qui, l’an dernier, a vu le commencement de l’aventure pour Emmanuel Macron avec un discours sur la nation et son histoire aux fêtes de Jeanne d’Arc à Orléans, peu avant que les Européens apprennent qu’il n’y avait nul besoin de bouter les Anglais hors du continent, ils s’en sont chargés eux-mêmes !
Pierre Allorant.