Philippe Hattat
Intitulé “Mémoires d’un amnésique”, ce concert-conférence de Philippe Hatat autour du stupéfiant Erik Satie, proposé ce dimanche après midi au Frac Centre par Orléans Concours International, fut un moment tout aussi instructif que plaisant, mené brillamment par un jeune et talentueux pianiste qui sut faire découvrir au public, l’extraordinaire modernité de ce compositeur à l’humour ravageur.
Cette présentation d’Erik Satie fonctionnait comme une sorte de “biopic” musical où Philippe Hattat nous racontait la vie de celui qui fut l’amant de la peintre Suzanne Valadon, ses rencontres avec Debussy, Ravel, d’Indy et bien d’autres artistes et l’influence qu’il exerça sur le monde musical et artistique de cette période de transition entre le XIXe et le XXe siècle, en illustrant son propos de très nombreux extraits musicaux tout à fait pertinents, pour mieux pénétrer la personnalité de l’auteur des Gymnopédies.
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Il faudrait que l’orchestre ne grimace pas quand un personnage entre en scène. Est-ce que les arbres du décor grimacent ? Il faudrait faire un décor musical, créer un climat musical où les personnages bougent et causent. Pas de couplets, pas de leitmotive, se servir d’une certaine atmosphère de Puvis de Chavannes !″ Propos tenus par Satie à Debussy au sujet de la création de Pélleas et Mélisande rapportés par Cocteau
Erik Satie en 1909
Philippe Hattat, entre deux interprétations ne manqua pas de rapporter des citations de Satie qui montrait toute l’ironie de l’artiste, ironie que l’on retrouve tout autant dans les petits textes satiriques qui accompagnaient ses partitions, que l’interprète avait obligation de lire mais interdiction de les révéler au public, mais aussi dans de nombreux titres de ses compositions comme “les embryons desséchés”, “sonatine bureaucratique” ou “désespoir agréable”…
Quelques extraits des œuvres de Debussy ou Ravel éclairaient aussi l’influence de Satie sur la musique de son temps, mais aussi sur une musique contemporaine comme ce court morceau intitulé “Vexations”, dont Satie avait indiqué qu’il fallait le répéter 840 fois, ce que fit John Cage en 1963 en 20 h. de piano, ou cette invention de la “musique d’ameublement”, que Satie définit comme « une musique qui fait partie des bruits ambiants, qui en tient compte. Une musique pour meubler les silences pesants parfois entre convives. Qui épargne les banalités courantes. » et qui influencera la musique minimaliste américaine.
Le final fut une apothéose avec des extraits de “Sports et Divertissement” parmi lesquels le tennis, le foot, le golf mais aussi le flirt, pièces très courtes d’une subtile ironie, accompagnées d’un mini-récit drolatique à propos de chacun de ces exercices…
Brillante et amusante promenade dans l’œuvre d’un des plus grands (et certainement le plus humoristique) compositeur du XXe siècle, dont on peut espérer une suite avec le célèbre “Parade”, composé par le génial Satie en 1917 pour les ballets Diaghilev avec des décors de Picasso, spectacle à propos duquel Appolinaire employa pour la première fois le mot de “surréaliste”…
Gérard Poitou
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