Entretien de l’un avec l’autre, et réciproquement.
Gérard Boutet : Dès les premières lignes de la préface, le lecteur devine clairement que Jerry Josnes est un pseudonyme.
Jerry Josnes : ― Évidemment. Il s’agit moins d’une révélation que d’un secret de Polichinelle. D’ailleurs, ça n’a pas dû te surprendre outre mesure, puisque Jerry Josnes, c’est toi ! Gérard Boutet et Jerry Josnes ne font qu’un, tu le sais.
GB : Puisque vous le dites, je ne soutiendrai pas le contraire. Pour autant, n’avez-vous pas été tenté d’entretenir le mystère ?
JJ : ― Pas une seconde. Jamais je n’ai songé à utiliser ce don d’ubiquité pour manigancer une quelconque embrouille.
GB : Mais alors, monsieur Josnes, à quoi rime ce jeu de cache-cache ?
JJ : ― Tu vas tout savoir sans rien payer, mon petit Gérard. Il est fréquent qu’un écrivain ressente le désir de changer d’air pendant quelques pages. Autrement dit : qu’il veuille s’accorder une escapade romanesque. En un mot, l’envie le titille de raconter une histoire qui n’a rien de commun avec ses thèmes précédents. Mais varier les genres, pour un auteur, n’est jamais indiqué. Une rupture de style provoque toujours une confusion auprès des lecteurs habituels, parfois même un désappointement. Ils ne reconnaissent plus l’écrivain qui leur semblait si familier. Un tel détour d’écriture est souvent considéré comme un égarement, un reniement ou, pire, une trahison.
GB : Est-ce vraiment si grave que ça ?
JJ : ― Oh, oui ! Les gens aiment classer leur monde par catégories, coller des étiquettes sur tout. À cause d’un livre insolite, d’un seul et unique bouquin qui s’écartait de la ligne, certains écrivains ont flingué la notoriété qui s’attachait à leur œuvre. C’était l’ouvrage de trop !
GB : D’où, en ce qui vous concerne, le recours à ce pseudonyme de Jerry Josnes !
JJ : ― Tu as pigé au quart de tour, mon petit Gérard. Je ne suis ni un faussaire, ni un schizophrène de l’encrier. Jerry Josnes se glisse dans un autre répertoire, voilà tout. Cela dit, la supercherie n’abuse personne, ainsi que tu l’as remarqué. Dans l’avant-propos, la véritable identité du signataire transparaît en filigrane. Du coup, le lecteur devient non pas le dindon de la farce, mais le complice d’une usurpation facétieuse.
GB : Si je vous comprends bien, monsieur Josnes, vous vous pliez à une sorte de tradition.
JJ : ― Je ne te le fais pas dire, mon petit Gérard. Les exemples foisonnent dans l’édition. On pense illico à Frédéric Dard/San-Antonio, bien sûr. On se souvient aussi de Romain Gary/Émile Ajar, d’Anne Desclos/Pauline Réage, de Jacques Laurent/Cécil Saint-Laurent, de Jean Herman/Vautrin, de Patrick Cauvin/Claude Klotz… sans oublier l’ineffable président Edgar Faure, qui signait ses polars Edgar Sanday ! La liste est aussi longue que variée.
GB : Y a-t-il des confrères que vous appréciez particulièrement ?
JJ : ― Par principe, je m’intéresse davantage au contenu d’un livre qu’à la personnalité de son auteur. Néanmoins, il me semble déplorable qu’un Tistet Védène puisse se prendre pour l’émule du Pape. Tu ne saisis pas l’allusion, je vois. Cela signifie que je tique quand le premier péquin venu, après avoir pondu un opuscule de peu, plastronne en littérateur chevronné. Sauf dons exceptionnels, l’écriture est un métier à part entière qui requiert un long apprentissage, nullement un passe-temps pour dilettante en mal de gloriole. Un distinguo comparable sépare l’artisan et le bricoleur.
GB : J’aimerais vous poser une dernière question, monsieur Josnes.
JJ : ― Je t’écoute, mon petit Gérard.
GB : Pourquoi avoir choisi le polar ?
JJ : ― Tout simplement parce que le genre permet de concocter des situations et des intrigues qui ne seraient pas plausibles dans un roman traditionnel. De plus, l’exercice est ludique. Les énigmes, même cousues de fil blanc, sont autant de devinettes que l’auteur soumet au lecteur, afin que celui-ci s’amuse à les résoudre.
GB : Pour vous, ce n’est donc qu’un jeu ?
JJ : ― Pas seulement. À mes yeux, le polar offre une liberté d’imagination que n’endigue aucun tabou, aucun souci de vraisemblance. On s’y exprime selon son humeur du moment, et baste ! On y trucide comme on respire, sans la moindre retenue, alors que dans la vie courante, un quidam regarde à deux fois avant d’occire son prochain. Ici, les plus folles extravagances sont autorisées. L’auteur s’affranchit de la normalité comme de la moralité. Il en va de même avec les récits d’aventures et les contes érotiques. Le fantasme l’emporte sur le réel. On est à cent lieues de tes Gagne-misère et des proscrits de « La claie d’infamie ».
Gérard Boutet : Je vous remercie de m’avoir accordé quelques instants de votre précieux temps, monsieur Josnes. J’envisage d’intituler ce portrait « La face masquée d’un grand écrivain ». Qu’en pensez-vous ?
Jerry Josnes : ― Franchement, ton titre ne casse pas quatre pattes à un canard, mon petit Gérard ! À ta place, j’aurais sûrement trouvé mieux. Tu devrais revoir ta copie. Mais après tout, fais ce qui te plaît. Il s’agit de ton article, pas du mien.
Interview du 18 mai 2016.
Photo : © Julien Boutet pour Marivole.