Cinq semaines en ballon

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Pierre Allorant

Au lendemain de la quasi-victoire morale des Bleus, dans quel état sortons-nous de cet Euro, après un mois de compétition et d’évolution accélérée du monde ?

Le spleen de Paris

Revenons, un instant, un mois en arrière, remontons la manivelle des actualités de l’autre coq gaulois, plus ancien que « el galo Griezmannix », celui de Pathé : le 10 juin dernier, le Royaume était encore uni et membre de l’Union européenne, les Verts rêvaient d’une victoire de Nicolas Hulot à la présidentielle, ce « commandant Couche tôt » au petit pied marin qui, par trois fois, aura renoncé à l’épreuve du feu, trois fois évadé comme François Mitterrand des camps de prisonniers en Allemagne, et tel Chirac, trois fois sauvé des eaux troubles agitées par ses amis de trente ans.

L’Europe buissonnière

Dans le concert dissonant des nations européennes, la Belgique espérait oublier les dysfonctionnements de sa machine étatique et assumer son statut d’équipe numéro un au classement du football mondial ; la Roja, revenir à son siècle d’or – entendez le règne décennal garanti, châteaux en Espagne obligent, du marquis d’Iniesta et de son intendant Del Bosque. Enfin, même privée de son virtuose, Amadeus Verrati, l’Italie du génial Buffon comptait bien dérouler son « cinéma Paradisio » et oublier son vieux clown triste Berlusconi, quitte à terrasser en finale Pepe, le rugueux Portugais, de préférence à Beppe, le Griot de mauvaise augure.

A.J. et A.G.

manif orléansEt la France qui chancelle, dans tout cela ? Entre inondations des rives du Loing et crispation autour de l’abus de l’usage du 49/3, cette arme de dissuasion de l’étiolement des majorités parlementaires sous la Cinquième République, nous subissions alors la chronique quotidienne de la victoire annoncée du  « meilleur d’entre nous », sorte de Zlatan de la primaire, d’Ibra écrasant de sa classe ses médiocres concurrents de la droite, du centre et des restes éparpillés d’une gauche atomisée par le long remords de l’exercice du pouvoir. Souvent sondage varie, bien fol qui s’y fie : AJ est désormais terrassé dans le cœur des Français par AG, l’Antoine qui a les cheveux, et aura bientôt la coupe.

Deux ballons d’or pour Madrid : le gisant et le grisant

Or, comme on dit en s’envolant en ballon de Madrid, du côté de l’Athlético ou du côté du Real, qu’avons-nous fait de notre Euro ? D’abord, une grande réussite populaire, les primales scènes de guerre russo-anglaises du Vieux-Port exceptées, très mauvais remake de la Crimée, châtiment mérité de l’élimination précoce des deux empires pénalisés par le hooliganisme. Irlandais du Nord et du Sud, Islandais, Gallois ont, tout à l’inverse, enchanté nos oreilles et nos nuits plus que nos jours, témoignant par la voix que la possibilité d’une île d’être ouverte n’est pas que mirage, rayon vert entre le ciel et l’eau. Mais ce rayon vert, cher à Rohmer, est parfois très mince, imperceptible, comme une illusion d’optique, et l’annonce d’une primaire verte en avant-première de celles des grands, en octobre prochain, pourrait bien ne pas suffire à remettre à flot un parti sur le flanc, frêle esquif investie par le placement du flot, rétive à la sauce hollandaise autant qu’au financier.

Ne m’appelez plus jamais Knysna

Encore plus inattendue a été la réhabilitation populaire de l’équipe de France, cette galeuse, cette tondue, moquée – elle l’avait bien cherchée – depuis une décennie de plomb sur son gazon maudit, réduite à faire le buzz avec un bus à l’arrêt, sans effet d’entraînement, à faire de la retape avec une sextape. Si le drapeau tricolore et la Marseillaise ont été ressortis cette année au moment du pire – la ruine et le deuil post-traumatiques – la fierté nationale, totalement déconnectée de son nerf de bœuf frontiste, a arboré les couleurs du meilleur, la joie de vivre ensemble, comme sur un air de juin 36, et à l’occasion, de gagner.

Lloris fait de la Résistance, Gignac au poteau

Les artisans de cette « guérison par l’esprit d’équipe » méritent le détour : Evra, vrai banni et capitaine en second, souvent débordé sur son aile, mais toujours de quart pour haranguer ses partenaires. Et ce drôle de capitaine,  Hugo, ce Lloris sans Gâtinais, jamais inondé par les flots des attaques adverses, toujours résistant sans avoir besoin de prendre le maquis, sans charte et avec franchise, bref, comme on dit à Munich : Der neuer Kanzler, le nouveau chancelier de l’échiquier des surfaces de réparation, c’est bien lui. Et bien sûr, à l’autre extrémité du gazon, son virevoltant alter ego revenu de son jeune exil au-delà des Pyrénées pour nous apporter la vérité, droit comme Montaigne sur sa monture, arborant son assurance de buteur sans se soucier du vieux record de Platini, infant d’Espagne oublieux et fier comme le nouveau millésime  du taux de réussite au bac, avant l’échec à l’oral de rattrapage de  Gignac, sur un poteau vicieux, probablement carré…

César et vorace. Eder, utopie

Alors que le 10, Downing Street va être occupé par une nouvelle « Miss Maggy », drôle de fleur de mai poussée en un mois de juin pluvieux, notre DD national, avec son goût de la gagne, est apparu tel un Merkel du foot européen, magnanime avec les fils prodigues un moment égarés, réfugiés en son sein, dur avec les sympathiques flambeurs islandais, impitoyable avec les banques centrales qui refusent de mettre à la poche leur main, de Boateng à Schweinsteiger. Et tout cela pour finir, avec des Portugais morts de faim, sans pitié, nous sommant de choisir entre la valise et le fado, nous renvoyant à la sodade sans l’ivresse du porto.

La gloire à vélo

En ces jours de demi-gloire, l’étendard sanglant de nos jours de peine pas encore remisé, sachons être bons perdants, avec le panache de futurs vainqueurs : c’est probablement ce que se sont dits les Pinot et Bardet, nos espoirs français du Tour de France, en laissant à nos amis sonnés par le Brexit cinq victoires dans une course à étapes qui ressemble désormais à une « Tamise à vélo », très loin du doux lit de la Loire. Certes, nous le savions, sans avoir besoin d’une descente en rappel de Froome : les Anglais ont une sacrée descente. Mais restons généreux, à l’écoute coûte que coûte : une nation qui a subi en moins d’un siècle, la boucherie de la Somme, la Blitzkrieg, puis les mensonges assassins de Tony Blair mérite bien quelques moments de joie réparatrice.

Voyage au bout de la nuit

Désormais, en toute hypothèse, à la fin, n’en déplaisent aux déclinistes ronchons, c’est le système DD qui montre la voie de la gagne. Comment s’appelait-il déjà, ce capitaine qui collait aux basques de ses adversaires et bâillonnait leurs velléités offensives en 1998 et 2000, peu avant la réélection d’un président sortant très impopulaire ? Dix ans auparavant, un artiste de la politique se faisait réélire sans coup férir en utilisant pour slogan, à défaut de programme, « la France unie ». Nul doute que bien des postulants rêvent, en mai prochain, de revêtir ce talisman, maillot jaune du panache, tunique sans couture de Lloris, promesse d’un sourire éclatant à la Griezmann. Espérons seulement que cette élection ne couronnera ni dopé, ni tricheur, ni mauvais joueur, ni même l’un ou l’autre de ces has-been à deux doigts d’accomplir le match de trop : c’est drôle comme, d’un coup, les rangs s’éclaircissent.

Au final, en politique, c’est comme au foot : la nostalgie n’a qu’un temps, elle n’est plus ce qu’elle était ; de Gaulle et Mitterrand ne reviendront pas plus, faut-il qu’il m’en souvienne, que Kopa, Piantoni, Fontaine. Au revoir 1958, 1984, 1998, 2000, les souvenirs de 2016 se ramassent déjà à la pelle d’un Euro deux étoiles et demie, promesse de lendemains qui chantent.

Que “l’étrange défaite” les grise, vivement le grand cirque de Moscou ! Et d’ici là, après les Jeux ? Du pain, la paix et la liberté.

Pierre Allorant. 

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