Folle et fine audace poétique. C’est un très joli film que vient de réaliser Marie Madinier, réalisatrice orléanaise. Avec ce premier long métrage accompli, voici un conte fantastique, un troublant conte de fée au charme captivant, une belle histoire d’amour sur fond de recherche médicale, un pétillant quasi huis-clos dans un superbe décor.
Un réjouissant jeu de l’amour et de la science
Ici, le professeur Quignard – nom donné en hommage à Pascal Quignard, l’auteur entre autres de “La barque silencieuse” – cherche à faire profiter le genre humain de la PPM (sphéniscine), protéine antimicrobienne puissante issue du pingouin et susceptible de protéger l’homme de toute maladie.
Christophine, jeune thésarde qui l’admire, s’inocule le génome et s’offre à lui en cobaye humain afin de lui permettre de découvrir quel est le stimulus qui déclenche l’immunité. Elle est “touchante de dévotion” et lui “sentimentalement autiste”.
Une “douce dinguerie” au charme enthousiasmant
Dans l’atmosphère au clair obscur gris bleuté d’un laboratoire avec fausse banquise et manchots du Cap sous dôme cristallin, place à une comédie à la douceur piquante, à un jeu de l’amour et de la science surprenant, à une “douce dinguerie” pleine de finesse et d’élégance.
Ici, Marie Madinier, à qui l’on doit les courts métrages “Les compliments d’amour” (2012), et “Vous m’éblouissez” (2015), nous ravit avec des dialogues et des répliques qui font délicieusement mouche. Voici un trait net, une écriture sur le vif, pleine d’évanescence, un ton direct et de belles respirations. Côté images, le rythme est aussi d’une superbe fluidité avec des effets et des surprises visuels qui font naître sourire, éclat de rire, ou invitent à la rêverie, au chuchotement de la tendresse.
Avec Charlotte Le Bon, Guillaume Canet et de beaux autres
Remarquable est ici Charlotte Le Bon dans le rôle d’une Christophine au naturel acidulé plein de lumière et d’enfance. Impeccable est Guillaume Canet, acteur jouant avec une sincérité emplie d’humilité le rôle d’un homme marchant à côté de son amour jusqu’à ce que…
Épatants sont par ailleurs Anne Le Ny, Patrick d’Assumçao et Damien Chapelle. Assistants du patron, ils apportent une moelle burlesque à cette aventure sur fond de postulat réaliste qui a reçu les avis et conseils de deux scientifiques, à savoir Olivier Danos et le propre frère de la réalisatrice qui est ingénieur de recherche au CNRS d’Orléans.
Au-delà de ces contributions, scènes d’amour, scènes de solitude, scènes de plaisir à la pudeur spectaculaire et réjouissante s’enchaînent sur un tempo qui tient en haleine. Coup de chapeau à la musique originale de Stephen Warbeck qui sait se faire oublier mais nous prend aussi irrésistiblement par le cœur lorsque l’image est à l’heure d’une romantique et spatiale féerie.
A n’en pas douter, “Le Secret des banquises”, film qui sort le 22 juin sur les écrans et notamment au Pathé Orléans, est le long-métrage d’une passionnante réalisatrice. Marie Madinier s’y révèle, en effet, une funambule qui s’avance avec grâce et délicatesse sur le fil et le film aigu de la vie.
Jean-Dominique Burtin.
Rencontre
Marie Madinier, une écriture à haute et vive voix
Aujourd’hui, grande lectrice qui s’est un beau jour autorisée à sauter le pas de l’écriture, jeune femme qui aime citer la légèreté étourdissante de “L’impossible Monsieur bébé”, de Howard Hawks, ou de “La Secrétaire”, de Steven Shainberg, Marie Madinier reconnaît, avec un sourire teinté d’admiration, que son maître absolu est Ernst Lubitsch dont l’écriture est pour elle une pure
“dentelle”.
Marie Madinier, qui avait écrit avec Chloé Lesueur “Lou” (2011), et tourné de manière fugace aux côtés de Julie Gayet et de Virginie Ledoyen dans “Un baiser s’il vous plait”, d’Emmanuel Mouret (2007) , parle volontiers de son travail au long cours.
Une comédie singulière, spirituelle et décalée
Pour “Le Secret des banquises”, comédie spirituelle et décalée qui vient de remporter un succès dit-elle surtout “rassurant” aux festival de Cabourg et des Champs Elysées, Marie Madinier avait reçu le Prix du scénario à la Femis, prestigieuse Ecole nationale supérieure des métiers de l’image et du son dont elle est sortie diplômée.
L’écriture du scénario ?
“Il s’agit d’un travail de résolution de la dramaturgie de l’action et de la caractérisation des personnages.”
Un tournage sous le signe du rire
Le rapport avec une famille d’acteurs à l’évidence enjouée?
” Avec Guillaume Canet, le travail s’est fait naturellement; nous avons tout d’abord parlé du personnage et ce fut une façon de se connaître; en vérité je me sens gâtée et surprise car Charlotte Le Bon, actrice et dessinatrice, à la réception du scénario a fait l’aller et retour Montréal Paris pour me rencontrer; de son côté, Guillaume Canet a tout de suite dit oui; en tant que réalisateur, il m’a pourtant laissé avec confiance carte blanche; Anne Le Ny, elle aussi réalisatrice, Patrick d’Assumçao et Damien Chapelle sont, eux aussi, d’une présence essentielle et qui me comble.”
Pour la rythmique, la fluidité et l’efficacité
Comment Marie Madinier écrit-elle ses dialogues ?
“Dans le silence et à l’écart; tout cela parce que je les dis à haute voix pour une question de rythmique, de fluidité et d’efficacité; et quand j’écris quatre heures par jour je suis assez contente; j’essaie aussi d’être très régulière car je suis à la fois Quignard et Christophine.”
Comment filmer les étreintes physiques pour celle qui aime Almodovar ? “C’est très difficile de les tourner; c’est un défi de mise en scène car il faut que cela soit à la fois pudique, drôle, surprenant et poétique; le plus important est de se demander comment sourire de tout cela.”
Le scénario peut-il évoluer lors du tournage ? “Il faut écrire jusqu’à ce que cela soit seyant pour les acteurs; ils peuvent essayer de choses car c’est en jouant les choses qu’une scène se débloque; je suis cliente des propositions.”
Le temps du montage est-il important?
“Absolument; car dans un film il y a en fait trois films; à savoir le scénario, le tournage et le montage; le montage est une phase de grande exaltation, un moment où l’on cherche, où l’on choisit les axes; comme il y a des séquences que j’adore et pour lesquelles on a tellement ramé pour les filmer, je ne peux parfois me résoudre à les supprimer; alors je fais de la résistance mais je finis par succomber; “kill your darling” m’a souvent dit, pour m’encourager, Anne Le Ny.”
Pour un travail de belle facture
A présent, Marie Madinier remet “les mains dans le cambouis”, travaille sur un nouveau scénario, celui d’une “pure comédie” en espérant pouvoir simplement proposer “un travail de belle facture avec de belles lumières et de beaux décors”.
Reste aussi la musique du “Secret des banquises “: “Là encore j’ai eu beaucoup de chance; Stephen Warbeck est un homme délicieux, très anglais et délicat; j’avais beaucoup aimer ses nappes sonores pour “Polisse”, de Maïwenn; pour Le secret des banquises, je ne voulais surtout pas de musique pompier; je trouve que Stephen Warbeck est dans le sensible et qu’il insuffle à merveille beaucoup de rêverie”.
Lorsque l’on demande à Marie Madinier l’autre métier qu’elle aimerait exercer, elle nous confie son plaisir d’être fleuriste. Aujourd’hui, avec Le Secret des banquises, cette jeune femme nous tend un joli bouquet d’onirisme avec le désir simple d’offrir à chacun “une sorte d’impression qui serre le cœur”. Une jolie intention comme attention couronnée de succès.
Jean-Dominique Burtin.