Le festival Printemps et Cinémas de la Méditerranée, organisé par l’association Diwan Centre, qui vient de se terminer fut comme chaque année l’occasion de découvrir de nombreux films issus des rivages du pourtour méditerranéen, mais aussi, chose plus rare, de rencontrer quelques réalisateurs et producteurs invités à Orléans pour parler de leurs films et du cinéma de leur pays.
Hassan Legzouli
Nous avons ainsi pu rencontrer Hassan Legzouli, réalisateur marocain du film “Le Veau d’Or” présenté à l’Aselqo Gare ce vendredi, qui nous parle de sa carrière de cinéaste, de ses films et du cinéma au Maroc aujourd’hui.
Les Courts Métrages
“Je suis arrivé en France dans les années 80, avec une bourse pour faire des études de mathématiques, ce qui m’a permis surtout de découvrir le cinéma, jusqu’au jour où je me suis dit il faut passer à l’acte et je me suis inscrit, en plus de la fac de sciences au département filmologie de l’université de Lille. Ensuite, j’ai tout abandonné pour passer le concours de l’INSAS à Bruxelles et là j’ai commencé à faire des courts-métrages. Dans les années 90 la région Nord Pas de Calais qui commençait à soutenir le cinéma en région, m’a permis d’écrire et de co-produire avec le Maroc mon premier moyen métrage en 1999, “Quand le soleil fait tomber les moineaux” que j’ai tourné dans mon village avec ses habitants, film qui reste pour moi une de mes plus belles expériences de cinéma.
Le Veau d’Or
Le Veau d’or c’est un peu la continuité de mon premier long métrage réalisé en 2004, “Tenja”, qui racontait un voyage de la France vers le Maroc et le Veau d’Or c’est un voyage du Maroc vers la France, c’est l’histoire d’un gamin franco marocain élevé en France donc français, il a fait quelques conneries, le père l’emmène dans un village au fond de l’Atlas et lui dit “le jour où tu t’assagis je peux te faire revenir” sauf que le gamin tête brulée ne trouve rien de mieux pour revenir au pays, que de voler un bœuf dans un ranch qui appartient au roi du Maroc. C’est donc aussi un film sur l’identité et la double appartenance mais l’autre volet du film c’est de montrer l’absurdité d’un pays, d’un régime, c’est une comédie de l’absurde avec deux super flics qui partent de Rabat pour essayer de comprendre qui a osé toucher au “sacré”.
C’est une entreprise de désacralisation sans diffamation, du coup ça engendre des situations un peu surréalistes dans une course poursuite entre une bétaillère et la voiture d’une police très couleur locale. La dimension politique n’est pas construite dans le sens “discours sur”, c’est l’histoire qui génère le discours politique, le discours et le regard politique remontent à la surface tout doucement.
Et comme j’évite l’affrontement, même si j’ai eu quelques difficultés, je n’ai pas eu les problèmes de Nabil Ayouch. (dont le film Much Loved, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs vient d’être interdit au Maroc ndlr)
Le Cinéma et le Maroc
A partir des années 80, il y avait une vraie volonté politique de développer le cinéma au Maroc, avec la création du Centre Cinématographique Marocain et la génération des gens qui étaient partis du Maroc pour faire des films à l’extérieur, ont pu trouver alors la possibilité de faire des films au Maroc, ce que certains ont appelé la nouvelle vague marocaine. Le Maroc est devenu aussi un pays d’accueil de tournage comme l’Afrique du sud, en jouant la carte touristique.
Le Maroc a une longueur d’avance en matière de cinéma, mais il y a des vieux réflexes qui reviennent avec l’interdiction d’Exodus de Ridley Scott et plus récemment celle de Much Loved et c’est pas bon pour l’image du Maroc et pour l’industrie du cinéma locale.
Le cinéma est une caisse de résonance de la situation politique, il y a eu une période de liberté avec le changement de monarchie, avec des changements positifs sur la famille, le statut de la femme, la constitution, la reconnaissance de la multi-ethnicité du Maroc, mais il n’y a jamais eu de printemps au Maroc… et les premières élections “honnêtes” ont amené au pouvoir en 2011 un parti islamo-conservateur, c’est la démocratie, mais les choses ont commencé à se dégrader avec ce partage entre la monarchie et le gouvernement.
Il y a deux pouvoirs au Maroc, il y a celui du Palais qui gère l’économie, la diplomatie et la défense, et tout ce qui est social, culturel, (et tout ce qui tourne autour) est géré par le gouvernement qui est sorti des urnes. Et à partir du moment où vous avez au gouvernement des gens qui veulent une culture propre, comme le cahier des charges imposé à la télévision, on sent que la liberté se rétrécit, on ne peut pas parler de la prostitution ou dire des gros mots au cinéma (cf l’interdiction de Much Loved), il y a aujourd’hui au Maroc,une volonté de moraliser la culture et la création.
Propos recueillis par Gérard Poitou
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