Jeannette Bougrab était la compagne de Charb*, le rédacteur en chef de Charlie exécuté par les frères Kouachi. Son témoignage très fort, diffusé jeudi sur les chaînes de télévision, a beaucoup ému. Déterminée dans ses écrits et ses paroles contre les Islamistes, l’ex-secrétaire d’Etat, originaire de Châteauroux, avait accordé une interview à Magcentre en février 2013.
Jeannette Bougrab reçoit Magcentre dans une des salles de réunion du cabinet d’avocats américains, Mayer et Brown, auquel elle est associée, près de l’Etoile à Paris. Luxe et sobriété, haut de gamme international. Elle arrive un peu en retard, coincée dans un emploi du temps hyper chargée, s’excuse, met à l’aise , simple et directe, féline et tout de suite dans le dialogue, sans détour, cash comme l’on dit. Les tweeters disent qu’elle s’est mariée la veille en catimini.
Dans son tailleur noir très classique, elle en rit et confirme son célibat. “ C’est comme çà. Je ne l’ai pas choisi. C’est la vie qui en a décidé. J’ai adopté en femme célibataire”. Ses yeux en amande cernés de khôl s’illuminent . “Une princesse , ma princesse va très très bien“, sussure-t-elle en évoquant sa fille de dix-huit mois qu’elle est allé chercher au Laos.
Sa terre berrichonne
Jeannette Bougrab embraye sur le Berry. “Ma terre”, dit-elle et, pas de doute, çà vient du coeur. “Châteauroux, Déols pour être exacte, c’est la ville où mes parents ont fait souche, où ils ont tout recommencé. J’y suis très attachée. J’ai présidé le banquet des anciens élèves du lycée Jean Giraudoux à Châteauroux il y a deux ans. J’en ai été très fière. J’ai fait mes études de droit à Orléans où j’ai continué à habiter jusqu’à ce que je sois nommée professeur titulaire à Paris. Jusque là je prenais le train à Fleury -les-Aubrais. Je faisais des aller-retours. Je n’avais pas les moyens de me payer un appartement à Paris”. Ce retour en arrière met de l’amusement dans sa voix. Ses racines sont en Berry , “terre rurale et dure. J’y vais une fois par mois. Je ne sors pas de la maison. Mes parents habitent aux Acacias, tout autour il y a des jardins ouvriers. Mon père en a un”. Les Berrichons lui sont chers avec leur caractères bien trempés, “preuve que je suis des leurs”. Elle rit d’un rire clair sans arrière pensée.
Elle évoque Michel Denisot , lui aussi ancien de Giraudoux, ” un bon vivant”, et passe très vite à Gérard Depardieu, autre Berrichon,” rencontré pour la première fois au meeting Sarkozy de Villepinte pendant la campagne présidentielle de 2012. On lui a craché dessus. Il est parti de rien, sans instruction. Sa carrière il ne la doit qu’à lui. On ne peut pas lui enlever çà. C’est un homme libre “.
L’affaire du voile en crèche
Elle croit en la méritocratie. Comme dans son livre, elle dit et redit que “l’école lui a permis de devenir autonome”, de s’affirmer en femme libre et émancipée.Fille de harkis, d’émigrés algériens, Jeannette Bougrab est fière de son parcours. Juriste, devenue spécialiste du droit public par conviction, “parce que le droit rétablit la justice”, elle est maître des requêtes au Conseil d’Etat, fut présidente de la HALDE (Haute autorité de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité), nommé par décret présidentiel le 23 mars 2010. Elle a défendu l’autonomie de son institution face aux parlementaires qui cherchaient à en réduire les moyens. Elle dut affronter une partie de ses services qui défendaient contre sa volonté une salariée de la crèche “Baby- Loup” de Chanteloup-les-Vignes (78): elle voulait travailler en portant un voile. “ Cette affaire n’est pas terminée. La Cour de Cassation rend son jugement le 17mars, elle peut encore casser l’interdiction”.
Elle est très reconnaissante à Elisabeth Badinter de l’avoir soutenue dans sa démarche.
Ex-secrétaire d’état à la Jeunesse d’un Sarkozy qu’elle a vu l’été dernier et encore récemment, sans appartenir au groupe de ses amis, “Gaulliste sociale , héritière de René Capitant et Léo Hamon” elle se sent en famille à l’UMP. Pourtant, lorsqu’elle a br voulu briguer une circonscription pour les législatives de juin 2007 elle n’a obtenu de haute lutte qu’une circonscription acquise à la gauche à Paris et a été largement battue. Le coup est rude mais pas suffisant pour lui clouer le bec. Elle dit tout haut ce qu’elle pense quitte à se faire taper sur les doigts.
La fille de harki pour le mariage gay
Elle est pour le mariage gay, pour la PMA, s’interroge sur la GPA; elle est pour la formation des maîtres et la réforme des rythmes scolaires. Elle a porté la main jaune de SOS Racisme et approuve Ni Pute Ni Soumise. Elle tutoie la gauche mais, fille de harki, elle n’a pas digéré la façon dont la gauche a traité tout ce qui touchait de près ou de loin à l’Algérie française.
Elle reconnait ce que, auprès de Sarkozy, son ascension en politique doit à la parité et à l’immigration. Faut-il voir là la source de sa descente en flamme de Rachida Dati dans son livre? Elle esquive se réaffirme athée, contre l’islamisme. “L’affaire Merah n’est pas acceptable” assène-t-elle avant de rappeler que “le délit de blasphème n’existe pas dans notre législation. J’attaque l’islamisme , j’ai donc reçu des menaces de mort ce qui ne m’empêche pas de rester fidèle à mes principes. Quiconque fait quelque chose est attaqué”.
Le succès de son livre entré dans le top ten des ventes la réjouit. Elle n’envisage pas une carrière définitive d’avocat . “Je redeviendrai juge. Pour l’heure, je travaille avec de très brillants juristes, c’est excellent pour l’ouverture d’esprit”.
Françoise Cariès
“Ma république se meurt”
Jeannette Bougrab
(Grasset ) 18 euros
* La famille du dessinateur Charb, tué mercredi, a “formellement” démenti la relation entre le caricaturiste et Jeannette Bougrab, ancienne secrétaire d’Etat.
« Nous démentons formellement l’engagement relationnel de Charb avec Jeannette Bougrab », a déclaré à l’AFP, le frère de Stéphane Charbonnier dit Charb, Laurent Charbonnier qui a indiqué s’exprimer également au nom du père et de la mère du dessinateur.
« La famille ne veut plus que Jeannette Bougrab s’exprime au sujet de Charb dans les médias de quelque manière que ce soit », a-t-il ajouté. « Nous demandons de respecter le deuil de la famille », a complété M. Charbonnier, précisant que cette déclaration était « unique »: « il n’y en aura pas d’autres ».
Jeannette Bougrab, ancienne secrétaire d’Etat, s’est présentée à de multiples reprises dans les médias comme la compagne du dessinateur Charb, depuis la mort du directeur de publication de Charlie Hebdo tué mercredi, dans l’attaque qui a visé le journal satirique.
Jeannette Bougrab a confirmé elle, une relation née il y a un an