Depuis plusieurs jours paraissent de nombreux articles qui nous alertent sur la contamination constante de l’eau potable par du tritium. Une association écologique, qui assure un suivi de la radioactivité rejetée dans la Loire et la Vienne depuis 2017, aurait relevé, en janvier 2019, une concentration en tritium de 310 becquerels par litre d’eau. Cette substance radioactive provient probablement de rejets de centrales nucléaires. Notre région Centre Val de Loire, riche de 4 centrales nucléaires : Belleville-sur-Loire (Cher), Dampierre-en-Burly (Loiret), Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) et Chinon (Indre-et-Loire), aurait plusieurs de ses communes touchées, dont Orléans, Blois et Tours qui s’alimentent dans la Loire.
par Jean-Paul Briand
Médecin retraité d’Orléans
Les isotopes de l’hydrogène
Tout le monde connaît ce gaz inodore et incolore, sans doute la matière la plus répandue dans l’univers, que l’on nomme communément hydrogène. Or, la famille hydrogène est constituée de trois isotopes légèrement différents.
Ces trois frères isotopes existent naturellement dans notre environnement. Le plus répandu et le plus stable a son noyau fait d’un seul proton. Son frère isotope, le deutérium, a dans son noyau un proton et un neutron. Enfin, le troisième isotope, le tritium, a un noyau composé d’un proton avec deux neutrons. A la différence de ses deux frangins, le tritium est radioactif. C’est à dire qu’il n’est pas stable. Pour se stabiliser, il essaye de se transformer (désintégration) en helium en rejetant de la matière et de l’énergie : un électron avec un rayonnement beta de faible énergie. Chaque atome de tritium va mettre un temps plus ou moins long pour devenir stable. Le temps nécessaire (période ou demi-vie) pour que la moitié des noyaux de tritium initialement présents se désintègrent naturellement en hélium est d’un peu plus de 12 ans. Il faut comprendre que c’est une durée aléatoire, probabiliste, à l’issue de laquelle le noyau du tritium a une chance sur deux de se transformer. Nul ne peut assurément dire quand ce phénomène va se produire. Certains noyaux de tritium vont se désintégrer en quelques jours et d’autres vont attendre de nombreuses années.
La radioactivité d’un radionucléide, comme le tritium, se mesure en becquerel (symbole : Bq). Un becquerel correspond au nombre de désintégrations produites en une seconde. Le becquerel ne fait que compter un nombre d’événements et ne chiffre pas le caractère dangereux ou non de cette activité.
Le tritium
Le tritium est rare à l’état naturel, environ 1 atome de tritium pour 1018 atomes d’hydrogène. L’homme en fabrique plus que la nature. Pendant longtemps, il était causé principalement par les explosions nucléaires. Aujourd’hui, les sources de tritium les plus importantes sont celles issues des rejets des installations du cycle du combustible nucléaire (réacteurs, traitement du combustible). Le tritium s’intègre aisément au cycle normal de l’eau et se retrouve ainsi chez l’homme, l’animal, le lait et les végétaux. Les rejets de tritium sont ingérés en buvant de l’eau tritiée ou respirés avec de la vapeur d’eau contaminée. On l’élimine dans nos urines.
La radioactivité directe du tritium est jugée peu agressive puisque ses rayons beta, de faible énergie, pénètrent difficilement la peau. Le risque est lié à la contamination interne par inhalation ou ingestion. Par ailleurs, biologiquement le tritium, ingéré ou inhalé, est réputé s’éliminer en 10 jours à un mois et la presque-totalité en moins d’un an. Sa période biologique est donc très inférieure à sa période radioactive. Compte tenu de cette faible radio-toxicité, des excès de cancers ne sont attendus que pour des expositions de l’ordre du giga-becquerel (1 milliards de becquerels), très au-delà des niveaux d’expositions rencontrés dans les environnements contaminés par le tritium. Cette dose pourrait être difficilement atteinte chez l’adulte par la consommation quotidienne pendant toute sa vie de deux litres d’eau tritiée à hauteur de 7800 Bq/litre. La réglementation internationale, reprise par la France, retient que l’eau peut être considérée comme potable sans restriction jusqu’à dix mille becquerels par litre.
Les dangers du tritium
Des effets particulièrement délétères sur la santé n’ont été rapportés chez l’homme qu’à très fortes doses de tritium. Même si les études épidémiologiques réalisées sur des cohortes de travailleurs exposés au tritium, leurs enfants et les résidents vivant à proximité d’installations nucléaires n’ont pas permis de statuer sur les risques cancérogènes découlant de l’exposition prolongée au tritium, le Centre international de Recherche sur le Cancer de l’OMS (CIRC) a classé le tritium parmi les agents cancérogènes pour l’humain. Pour le CIRC, les données concernant sa cancérogénicité chez l’animal sont suffisantes pour être extrapolées à l’homme.
En France la synthèse des travaux sur le tritium a été éditée en 2010 dans un livre blanc par l’Autorité de sûreté nucléaire française (ASN). Ce document a été actualisé en octobre 2017 par l’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN). Les canadiens semblent avoir le plus travaillé le sujet car certains types de réacteurs nucléaires utilisés rejetaient énormément de tritium. L’institut national de santé publique du Quebec (INSPQ) a donné son avis sur la présence du tritium dans l’eau potable en décembre 2015, après une revue complète de la littérature scientifique sur sa dangerosité. Selon les calculs de l’INSPQ, si 1 000 personnes consommaient pendant toute leur vie et quotidiennement de l’eau contenant 7 000 Bq/l de tritium, il pourrait y avoir 1 cas supplémentaire de cancer observé parmi ces personnes.
Pourquoi une telle élévation du tritium dans l’eau ?
Un élément important paraît être escamoté par les autorités sanitaires. Le tritium est un indicateur officiellement reconnu de la radioactivité issue des activités humaines, civiles et militaires (page 3). Les 310 becquerels de tritium par litre d’eau qui auraient été observés en Loire, à Saumur, sont bien en deçà des normes de sécurité. Effectivement, il n’y a pas de risque toxiques avérés, mais ce pic exceptionnel de tritium ne peut-il pas être en rapport avec une faille dans la gestion des déchets d’une centrale environnante, voire significatif d’un incident plus menaçant ? Les tutelles administratives ne peuvent évacuer le problème en rappelant simplement qu’aucune des valeurs constatées ne dépasse les critères de qualité instaurés par les autorités sanitaires. Si elle est confirmée, pourquoi une telle élévation du tritium est apparue dans la Loire ? La population doit savoir les causes de ce phénomène inaccoutumé…
Objectivité scientifique et militantisme sont difficilement compatibles
Au delà de l’élévation brutale et espérons anecdotique du tritium en Loire, l’association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (ACRO) dénonce une présence chronique et inquiétante de tritium dans l’eau potable. L’ACRO est basée dans le Calvados et fut créée en 1986 au moment de la catastrophe de Tchernobyl. Elle milite pour l’arrêt total du nucléaire.
Le travail citoyen d’informations et d’avertissement effectué par l’ACRO est indispensable mais la forme dramatisante et alarmiste utilisée est discutable.
Objectivité scientifique et militantisme sont difficilement compatibles.
JPB