Famille et enfant, autorité et violence

La famille, sensée être un havre de protection, est encore un lieu menaçant et de violence pour l’enfant. Historiquement, au delà des homicides, des incestes, des agressions physiques et verbales, se produisant funestement au sein de certaines familles, le droit a octroyé aux pères des pouvoirs sur ses enfants qui paraissent aujourd’hui exorbitants et inouïs.

Par Jean-Paul Briand

Un père abusif aux pouvoirs absolus

Dans l’ancienne France, sous la domination romaine, il existait la « patria potestas » qui donnait au père le droit de vie et de mort sur ses enfants et sa femme. Ce n’est que beaucoup plus tard que l’Église catholique interdit l’infanticide et les abandons d’enfants. Avant la Révolution, sous la monarchie, le père pouvait exercer un droit de correction et d’embastillement si l’enfant s’opposait à son autorité. La Révolution, en fixant un âge de majorité, limita cette puissance paternelle incroyable.

En 1804, Napoléon la réintroduisit dans son Code en permettant d’obtenir du juge, sans qu’il en ait à justifier les motifs, la détention de ses enfants. Les conditions de détention étaient si cruelles et les abus si fréquents que la conscience qu’un enfant puisse être une victime martyrisée fit son chemin.

Dès 1874, toute une série de lois vinrent protéger l’enfant d’un père abusif, aux pouvoirs absolus, en instaurant la déchéance paternelle si l’enfant était en danger. La loi du 28 mars 1882, organisant l’instruction primaire obligatoire pour tous les enfants âgés de six à treize ans, a également été un élément remarquable dans la réduction de la puissance paternelle en ne permettant plus de disposer à sa guise de la force de travail de ses enfants. Il fallut néanmoins attendre le décret-loi du 30 octobre 1935 pour que l’incarcération des mineurs par mesure de correction paternelle soit abolie en France !

Déclin de la puissance paternelle
et protection de l’enfant au sein de la famille

Dans la société occidentale contemporaine, la nouvelle place de l’enfant est reconnue en 1924 par la Société des Nations (SDN). La Déclaration de Genève de la SDN décide de l’existence de droits spécifiques aux enfants et de la responsabilité des adultes à leur égard. Droits renforcés par la Déclaration des Droits de l’homme de 1948 qui les garantit pour chaque individu, quel que soit son âge. En 1959, la Déclaration des droits de l’enfant renforce les principes énoncés en 1924. Associée au déclin de la puissance paternelle, la protection de l’enfant au sein de la famille constitue peu à peu une ligne directrice de l’évolution du droit de la famille. Adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en novembre 1989, la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) consacre l’obligation de protéger le mineur dans des domaines tels que la santé, l’intégrité morale et physique, les conflits armés, le travail.

Dans le droit français, en 1970, la puissance paternelle est remplacée par la notion d’autorité parentale. Il sera désormais de la responsabilité des deux parents d’exercer leur autorité sur leurs enfants jusqu’à leur majorité.

Frapper un enfant, l’humilier, peut être considéré comme normal

Or, même si cette longue évolution historique a fait diminuer la violence paternelle et familiale à l’égard de l’enfant, la violence dite éducative est encore banalisée, coutumière et considérée comme légitime par beaucoup de Français. Selon la Fondation pour l’Enfance, 85 % des parents français ont recours à des violences dites éducatives et « plus de 50 % des parents commencent à frapper leur enfant avant l’âge de deux ans, persuadés par l’éducation qu’ils ont reçue que cela leur a été utile et profitable ». Une enquête SOFRES réalisée en janvier 1999 pour l’association « Eduquer sans frapper » montre que seulement 16 % des parents ne frappaient jamais leurs enfants…

Des sanctions pénales sont prévues en cas de mauvais traitements envers les animaux domestiques ou sauvages, apprivoisés ou en captivité. Insulter ou frapper son conjoint ou un adulte sont considérés comme des délits, voire des crimes. Ainsi, en toute incohérence délétère, en contradiction avec le droit et les accords internationaux, en France, frapper un enfant, l’humilier, l’abaisser peut être estimé pour un parent et par la collectivité nationale comme normal, si c’est pour le corriger et l’éduquer.

L’enfance devient une valeur précieuse

L’enfance est considérée aujourd’hui comme une étape décisive de la vie d’un être humain durant laquelle il construira sa personnalité. Cette période déterminante est naturellement fragile et influençable. Dans notre société, l’enfance devient donc une valeur précieuse dont la santé, l’intégrité physique et psychologique sont à protéger. La violence physique, quelque soit l’intensité des coups, la peur, les menaces ne peuvent plus être reconnues comme un mode d’éducation normal chez l’enfant. Il existe d’autres violences qui, sans être physiques, sont parfois bien plus nocives. Des mots, des humiliations, des chantages culpabilisants peuvent laisser des traces destructrices psychologiques indélébiles. Ces violences morales vont parfois marquer douloureusement une sensibilité vulnérable et en devenir, lui supprimant à jamais toute confiance ou estime de soi.

Autorité éducative ou autoritarisme condamnable

Élever un enfant, l’éduquer, l’instruire demandent de la patience, de l’amour, mais aussi de l’autorité. Pour autant cela ne veut pas dire frapper afin d’assurer cette autorité. Elle n’est plus conciliable avec la possibilité de faire du mal physiquement ou moralement. Les châtiments corporels sont déjà interdits dans plus de 31 pays du Conseil de l’Europe et dans 51 pays dans le monde. La protection de l’enfant doit passer par l’abolition ferme des violences éducatives ordinaires et leurs sanctions. Une proposition de loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires, déposée à l’Assemblée nationale en octobre 2018 par Mme Maud Petit a été adoptée en première lecture, le 29 novembre 2018. Elle se veut uniquement pédagogique puisqu’elle ne prévoit aucune sanction en cas de manquement.

Même s’il existe le risque que tout acte d’autorité éducative, sans violence d’aucune sorte, soit perçu comme un acte d’autoritarisme condamnable, interdire et sanctionner les violences éducatives ordinaires est non seulement une affaire de respect de droits fondamentaux, mais également de santé publique.

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