Après une semaine de forte actualité politique, du remaniement gouvernemental à la tempête dans un crâne autoproclamé insoumis, en passant par l’intervention présidentielle sur la petite musique néo-rocardienne du « parler vrai », la trêve de la Toussaint incite à prendre un peu de recul pour analyser la nouvelle donne politique et entrevoir pour qui sonne le glas.
Par Pierre Allorant.
Docteur Jean-Luc et Mister Mélenchon
Comme le monarque de droit divin selon Ernst Kantorowicz, Jean-Luc Mélenchon a-t-il « deux corps », dont l’un incarnerait la République, inviolable et sacrée ? Sans lui faire offense, on a connu le chef de la France insoumise mieux inspiré et plus crédible, habitant mieux son rôle, et pour tout dire, davantage maître de lui. Imagine-t-on François Mitterrand, qui pourtant dû affronter à plusieurs reprises rumeurs délétères et coups montés, de « l’affaire des fuites » à l’Observatoire, bousculer un juge d’instruction, se laisser aller à perdre son sang-froid, au risque de ruiner sa stature ? Qui se souvient encore du ton patelin et du discours policé du candidat à la présidentielle de 2017 qui, fort de sa culture littéraire, de son expérience politique et de son talent oratoire, donnait le « la » en dominant les débats télévisés, comme avait pu le faire dans d’autres campagnes le sage du Béarn, autre dinosaure rescapé de l’âge du mitterrandisme ?
En montrant son pire visage, celui de la mégalomanie et du mépris des fonctionnaires de police et de justice du pays qu’il aspirait, il y a peu, à diriger, celui qui a brillamment recueilli près d’un cinquième des suffrages populaires en mai 2017 vient de se déconsidérer aussi brutalement que Marine Le Pen avait, en un soir, ruiné par son incompétence agressive, cinq années d’une entreprise de dédiabolisation en passe de réussir à tromper l’électeur.
Les déraisons de la colère
Bousculer un procureur, insulter des policiers, c’était déjà une faute grave pour un parlementaire, président de groupe à l’Assemblée nationale et postulant à la magistrature suprême. Mais ensuite, à froid, parler de « police politique » comme s’il était victime de torture à l’intérieur d’un consulat saoudien, c’est confondre opposition et outrance, insoumission et ridicule. Quant à menacer les journalistes d’investigation de représailles, et mettre en cause leur indépendance après celle des magistrats, c’est verser dans une paranoïa certes pas nouvelle chez l’ancien sénateur socialiste, mais qui atteint désormais des proportions dignes d’un Francois Fillon haranguant les adeptes de « Sens commun » sous le déluge divin du Trocadéro.
Bref, la posture de l’opposant outragé, victime du polonium judiciaire et médiatique, c’est sans doute une ficelle efficace pour souder les plus militants, convaincus que le locataire de l’Elysée est prêt à tous les procédés pour abattre « Mélenchon l’enfermé », l’héritier de Blanqui, leader d’extrême gauche perpétuellement emprisonné au XIXe s. Mais pour le commun des Français, c’est vraiment « too much », l’acteur en fait des tonnes, en véritable « Christian Clavier du Palais Bourbon » ; car, jusqu’à preuve du contraire, Mélenchon n’est ni Dreyfus, ni Zay, ni Mandel, il ne croupit dans aucune geôle des Baumettes – où il aurait pu pourtant s’approprier le bel accent provençal plutôt que de s’en moquer avec grossièreté – ni même à la Santé, qualité qu’il semble avoir perdu avec la raison. Car se soumettre aux lois ordinaires et à la Justice, c’est bien le moins que l’on puisse attendre d’un parlementaire.
L’argent corrompt, Dura lex, sed lex
Plus gênant encore, de quoi est-il question ? D’argent public, de comptes de campagne, donc de cette morale publique que se targuait d’incarner, en nouvel « Incorruptible », le député des Bouches-du-Rhône. Or, s’il n’a pas le monopole des procédures judiciaires désagréables – trois ministres Modem ont été contraints à démissionner en 2017 et Marine Le Pen est engluée dans de graves soupçons de détournement d’argent public – Mélenchon n’a pas non plus le monopole de la vertu républicaine. Pire, il a semblé gravement confondre son immunité parlementaire, incontestable jusqu’à son éventuelle levée, avec une impunité, une sorte de privilège sur les autres justiciables, sentiment désormais insupportable à l’immense majorité de l’opinion. Très loin de Saint-Just et de Robespierre, les vociférations du leader des Insoumis l’ont rapproché de sa caricature. On peut estimer que les valeurs qu’il défend et ses électeurs, singulièrement les jeunes qui ont cru en la pureté de ses combats, valent mieux que cela.
Tant hurler à l’injustice ne dispense pas de s’expliquer sur les sur facturations troublantes. Même le couple Balkany, expert en la matière, le sait désormais. Et si effectivement le mandat parlementaire protège traditionnellement, depuis deux siècles, afin de conjurer toute pression du pouvoir exécutif sur l’opposition, ce bouclier juridique n’en donne que plus de devoirs d’exemplarité à ses bénéficiaires. Les soubresauts du Média – le singulier interroge – le clair-obscur des prestations de Sophia Chikirou méritent des explications sereines, précises, argumentées, comme celles des autres comptes de campagne, et non des cris d’orfraie, voire des « pudeurs de gazelle » déplacées, sauf si ce tapage n’a eu pour fonction que de détourner l’attention.
Pour une République moderne, l’urgence d’oppositions crédibles
Décidément, il n’est pas sain que les seules oppositions à Emmanuel Macron soient deux forces qui paraissent aspirer davantage au « coup de gueule permanent » qu’à bâtir une alternative crédible à la politique libérale assumée de l’équipe actuelle.
Pour que les échéances de 2022 ne ressemblent pas à un combat douteux, mesdames et messieurs les républicains de toutes obédiences, droite classique et orphelins de la gauche plurielle, il est plus que temps de vous mettre au travail, d’établir un programme, de vous mettre en ordre de bataille, de faire émerger des équipes crédibles. À défaut, le match retour de la confrontation de 2017 risquerait fort de n’être qu’une mauvaise caricature de démocratie.