En retard, mais seul et sans avocat, d’entrée de jeu courtois et présentant des excuses pour les « propos que j’ai pu avoir à votre intention », Alexandre Benalla a fait face à la commission sénatoriale. Celle-ci redoutait d’avoir à auditionner un homme de 27 ans, arrogant, impétueux, méprisant, tel que sa communication catastrophique depuis le début de l’Affaire le montrait. Or, ce mercredi 19 septembre, devant les sénateurs, pendant les deux bonnes heures de son grand oral largement consacré à son rôle à l’Élysée auprès d’Emmanuel Macron, l’ancien conseiller est apparu compétent, prolixe, parfois drôle et capable d’esquiver les questions les plus pointues.
Il fut un homme bien différent de l’intervenant casqué et violent portant un brassard siglé police lors des manifestations du 1er mai place de la Contrescarpe. Alexandre Benalla serait-il un homme à deux faces sachant jouer de l’une et de l’autre au gré des circonstances et de ses intérêts ?
Du flou bien mis en musique
Fines lunettes sur le nez, barbe bien taillée, costume classique et impeccable, il fait son mea culpa en introduction , assurant que « ses propos visant les sénateurs avaient été sortis de leur contexte : j’ai toujours respecté les institutions, j’ai un profond respect pour le Sénat, pour les sénateurs… J’ai été bien élevé » (il avait qualifié Philippe Bas, le président de la commission de « petit marquis »).
L’ex collaborateur de l’Elysée a visiblement bien préparé son audition et travaillé ses réponses qu’il commence le plus souvent par, « pour être très précis » alors qu’il reste dans le flou. Quand les parlementaires le questionnent sur son rôle exact auprès d’Emmanuel Macron, l’ex-chargé de mission répond qu’il n’a pas occupé de fonction de sécurité, mettant dans le même sac la campagne présidentielle et sa période élyséenne. Pour expliquer sa présence physique sur le terrain auprès du chef de l’Etat attestée par plusieurs documents, il met en avant son rôle de coordinateur chargé de logistique.
Lorsqu’est abordé un autre point crucial, savoir si l’ancien chargé de mission s’est attribué illégalement des prérogatives policières, Alexandre Benalla jure que sa demande de port d’arme « n’était pas liée à la sécurité du président mais à sa sécurité personnelle. Quand vous êtes dans les médias, que vous habitez au même endroit depuis huit ans vous êtes exposé », justifie-t-il, estimant avoir été « exposé plus que n’importe quel autre collaborateur ».
“Il a pu arriver que j’aie une arme sur moi”
Cette ligne de défense n’a guère été appréciée par la commission. En effet des personnes précédemment auditionnées ainsi que la préfecture de police ont assuré que cette demande de port d’arme a été validée « en raison d’une mission de police ». « Ce n’est pas ce que nous a dit le préfet de police et ce n’est pas ce qui est mentionné sur l’arrêté du préfet de police sur le port d’arme », a répliqué le président de la commission Philippe Bas, très calme mais incisif. Poussé dans ses retranchements, Alexandre Benalla finit par lâcher : « Il a pu arriver que j’aie une arme sur moi, si je venais de mon domicile ».
Mais c’est sur les conditions de son recrutement qu’Alexandre Benalla reste le plus évasif. La semaine dernière, François-Xavier Lauch, chef de cabinet de l’Elysée, son supérieur hiérarchique direct, avait dit devant la commission qu’il était à l’origine de cette embauche, à la suite d’une demande d’Alexandre Benalla lequel donne une autre version, insinuant à demi-mot l’intervention directe du président de la République. Selon lui, il s’agissait « d’une issue normale de mon rôle de directeur de la sûreté et de la sécurité d’En Marche pendant la campagne ».
Le long échange de questions-réponses a permis d’éclairer le fonctionnement traditionnel de l’organisation de la présidence de la République, mais aussi de dresser le portrait et l’activité d’un simple chargé de mission qui cependant était omniprésent dans l’organisation de la vie publique et privée du chef de l’Etat, un pouvoir important et peu clair qui contraste avec la position actuelle de cet ex-proche d’Emmanuel Macron, qui de son propre aveu, a vécu sa rétrogradation « comme une humiliation » et qui est actuellement à « pôle emploi ».
Le mutisme de Vinceny Crase
Le gendarme Vincent Crase, mis en examen aux côtés d’Alexandre Benalla dans l’affaire des violences commises sur des manifestants le 1er mai auditionné à la suite a refusé de répondre aux questions concernant l’affectation d’Alexandre Benalla à l’Elysée et sur son port d’arme estimant que la question avait un lien direct avec l’enquête : « Est-ce qu’à votre avis, Alexandre Benalla a exclusivement exercé des missions d’organisation et de déplacement, ou est-ce qu’il a exercé des missions de police et de sécurité » a interrogé Jean-Pierre Sueur le co- rapporteur. « Je me réserve le droit de ne pas répondre » a répondu le militaire. « Mais puisque vous le côtoyez que vous le connaissiez, vous aviez peut être une idée sur la question…. » insiste le sénateur PS du Loiret. « Je ne connais pas sa fiche de poste, je n’ai pas lu son contrat de travail, donc je ne vais pas me risquer à des approximations » s’énerve Vincent Crase.
F.C.