Avec infiniment de science, de grâce et de sensibilité, l’ensemble orléanais de musique ancienne La Rêveuse , conjugue la création et le répertoire avec une précision de charme, une passion admirable et sans faille. Florence Bolton , viole de gambe, et Benjamin Perrot, théorbe, ne sont ainsi pas des artistes extra terrestres mais des créateurs extra célestes. Avec une fantaisie d’une précieuse sagesse et le talent de virtuoses, leur élan musical savant sert avec une liesse intimiste le patrimoine musical défiant le temps. Celui auquel se ressourcent les mélomanes.
A l’heure dite et à « L’heure verte »

Le buveur d’absinthe, 1889 – 1901, huile, Prague, Café Slavia
Viktor OLIVA (1861-1928)
Ce vendredi 24 novembre, cet ensemble à géométrie délicieusement variable, vient ainsi de présenter à la Scène nationale d’Orléans “L’Heure verte“, nouveau maillon d’une chaîne de séduisants programmes, spectacle créé cet été dans les Traversées de Noirlac avec, notamment, la participation du graphiste Loïc Le Gall.
Florence Bolton, éloquente: « Depuis un petit moment, nous travaillons sur les résurgences de la musique ancienne à partir de la fin du dix-neuvième siècle, qui vont souvent de pair avec un intérêt renouvelé pour l’histoire et le passé. Le cabaret du Chat Noir était un lieu particulièrement intéressant sur ce sujet puisque son propriétaire, Rodolphe Salis, peintre raté et bonimenteur exceptionnel, avait un goût pour une histoire pittoresque à la Alexandre Dumas. Ainsi, on pouvait croiser un luthiste au Chat Noir, et y admirer une décoration hétéroclite de style Louis XIII. »
« Pour ce spectacle », détaille-t-elle encore, « nous avons travaillé sur des textes des poètes qui fréquentaient l’établissement et avons fait un choix de textes variés qui parlent de l’époque mais aussi des fantasmagories gothico-baroques, mises en musique par Vincent Bouchot. »
L’Heure Verte est un spectacle tissé sur un curieux télescopage à travers les siècles, entre le XVIIe et la fin du XIXe, dans cet esprit libertaire et souvent provocateur du célèbre cabaret du Chat Noir, fréquenté par un aréopage d’artistes cultivant la désespérance arrosée d’absinthe. La Rêveuse a découvert dans son spectacle une étrange et souterraine correspondance entre la musique baroque et cette fin du XIXe siècle qui réécrit l’histoire de France tant par Michelet que par Viollet le Duc. En parfaite dérision, le Chat Noir présentait ainsi “le crane de Louis XIII enfant” (sic), et célébrait plutôt les fêtes galantes de Gaston d’Orléans, le frère du roi, libertin et rebelle.
Tout en respectant la forme “cabaret” avec des numéros chantés et illustrés parfois d’un théâtre d’ombres, le concert met en écho, sur des compositions baroques originales, des poèmes et chansons à boire chantés du temps de Monsieur Gaston, avec des textes loufoques et originaux d’auteurs comme Alphonse Allais, Maurice Rollinat, François Coppée, Charles Cros, Jean Richepin, ou des adaptations de morceaux choisis d’Erik Satie, tous artistes “aficionado” du Chat Noir et de sa liqueur verte.
A déguster sans modération !
GP.
Esprit d’ouverture et souffle de création
Ouvert à la création régionale La Rêveuse n’en est pas à son premier succès : voici, en 2014, “Monsieur de Pourceaugnac” , comédie des masques et de l’illusion carnavalesque créée avec le Théâtre de l’éventail au Château de Chambord puis à La Cartoucherie de Vincennes.
Voici encore “Jack et le haricot magique” spectacle musical de marionnettes avec Kristof Le Garff créé en 2017 d’après le conte traditionnel anglo-saxon Jack and the Beanstalk autour des airs à danser anglais du dix-septième siècle. Merveille unanimement saluée par la critique sera, en 2008, le spectacle avec Benjamin Lazar, visite guidée du chef d’œuvre de Cyrano de Bergerac, « L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune », œuvre qui circula sous le manteau jusqu’à la mort de son auteur et qui ne parut dans sa version non expurgée qu’au vingtième siècle.
Avec l’art et la belle manière de la pensée
Enfin, sans prétendre être exhaustif, voici un autre succès de ceux qui composent une audacieuse partition : l’accompagnement, en 2011, pour le CADO, à Orléans, de la comédie ballet de Molière et Lully, « Le Bourgeois gentilhomme », mise en scène par Catherine Hiegel et avec François Morel dans le rôle titre.
Soulignons, cerise sur le gâteau, « Ba-Rock, de Dowland à Sting », un spectacle sur le thème de la chanson anglo saxonne des sixties jusqu’à aujourd’hui présenté à Saint-Jean-de-la-Ruelle (45) en 2016.
Florence Bolton: “La manière d’écrire et de chanter des chansons dans l’Angleterre du dix-septième siècle n’est pas si éloignée des chansons anglo-saxonnes des sixties jusqu’à aujourd’hui. Au pays de Shakespeare, on a eu très tôt le sens des mélodies entêtantes, du swing et de la rythmique de la langue… Sting lui-même, en s’intéressant aux airs de John Dowland, un contemporain de Shakespeare, et en les enregistrant il y a quelques années, avait vu les correspondances entre ces musiques ».
Bref, voici, avec La Rêveuse, au beau chapitre de la musique baroque envoûtante teintée d’une belle pensée contemporaine, un itinéraire, un témoignage musical qui n’a de cesse d’aller à la rencontre confiante et heureuse du plus grand nombre. En résumé, pas à pas, de coups d’ailes en coup d’ailes, de coups d’archets en délicats doigtés, la Rêveuse s’envole sans jamais s’égarer vers un joli nid de notes précieuses.
Jean-Dominique Burtin.
Conférences à l’affiche
Le Flageolet en France et en Europe
Conférence musicale par Philippe Bolton, facteur de flûte à bec et l’un des rares spécialistes français du flageolet, proposée par les Ateliers de Musique Ancienne de La Rêveuse, avec la collaboration des classes de flûte à bec (Virginie Tripette) et de saxophone (Francis Lecointe)
Le flageolet est un instrument de la même famille que les flûtes à bec. Son invention remonte à la Renaissance mais à l’inverse de la flûte, le flageolet a continué à évoluer après la période baroque. Son répertoire a ainsi suivi les goûts musicaux de son époque, du XIXe siècle jusqu’à la guerre de 1914-1918.
Le flageolet a progressivement été pourvu de clés métalliques comme les autres instruments à vent de cette époque (hautbois, saxophone, clarinette, basson, flûte traversière…). En Angleterre sa conception a été modifiée pour le rendre plus accessible aux musiciens amateurs. C’est sous cette forme qu’il a donné naissance au “penny whistle” largement adopté aujourd’hui dans la musique irlandaise.
Mercredi 29 novembre, 19 heures,
Conservatoire d’Orléans (Salle de l’Institut), place Sainte-Croix 45000 Orléans
Iconographie et facture instrumentale
Conférence musicale par Philippe Bolton, facteur de flûtes à bec, en collaboration avec l’ensemble La Rêveuse.
Quelles précieuses informations livrent les tableaux anciens aux facteurs d’instruments du vingt-et-unième siècle ? Un parcours des collections du musée à travers l’histoire de la facture instrumentale des instruments à vents anciens.
Vendredi 1er décembre, 18 heures,
Musée des Beaux-Arts (auditorium) place Sainte Croix 45000 Orléans
Illustration: Gérard Hoet, Jeune homme jouant de la flûte,
Une discographie hautement reconnue
Le CD Sonates en trio – Manuscrits d’Uppsala / D.Buxtehude, paru chez Mirare en février 2017, vient d’être nommé Choc de l’année 2017 par le magazine Classica. La remise des prix a eu lieu le 21 novembre à la Philharmonie de Paris.
Voici, par conséquent, une fin d’année en apothéose pour cet enregistrement salué dès sa sortie par la critique et les mélomanes. A son Palmarès: Choc de l’année Classica et Prise de son du mois ; 5 de Diapason; ffff Telerama; Bestenliste du Deutsche SchallPlatten Krittik; Joker Crescendo (B); 5 croches Pizzicato (LU); Clef du mois de Resmusica; Choix de France Musique; Choix de Francis Drésel / Radio Classique
Le prochain disque de La Rêveuse, consacré à Marin Marais, sortira début janvier. Il est d’ores et déjà Choix de France Musique.