Pierre de Villiers : le général qui a dit non à Macron

Le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, a démissionné juste avant la réunion hebdomadaire du Conseil de défense à l’Elysée. Un claquage de porte retentissant qui fait plus que du bruit, qui peut sonner la fin de l’état de grâce du président de la République nouvellement élu et auteur d’un recadrage public qui passe mal. Jupiter est-il allé trop loin avec la grande muette qui se souvient longtemps ? N’aurait-il pas du privilégier une explication dans un bureau, entre quatre yeux ?

Jamais un gradé d’aussi haut rang n’avait de la sorte tiré sa révérence  sous la cinquième République. « Je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays », déclare le général dans son communiqué  En cause : un différend public avec le président de la République sur  l’effort budgétaire demandé à la Défense pour clore l’année 2017.

La crise sur fond de serrage de vis

Depuis une semaine la crise couvait, depuis que le général avait émis des réserves sur les économies demandées aux armées. Ce sont les annonces de Bercy en matière d’économies qui ont mis le feu aux poudres. Le 11 juillet Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics,  détaille  le plan  qui doit éviter à la France de dépasser les 3% de déficit public. La Défense devra s’en tenir pour 2017 au budget voté sous la précédente majorité –450 millions d’euros–, contraignant ainsi les armées à se serrer la ceinture pour économiser 850 millions d’euros.

En commission de défense à l’Assemblée nationale, Pierre de Villiers, qui venait tout juste d’être prolongé pour un an à son poste, auditionné à huis clos, laisse éclater sa colère : « Je ne me laisserai pas baiser comme ça ! », lâche-t-il devant les députés dont certains, transgressant les règles d’usage, répercutent ces propos sur les réseaux sociaux.

Vincent Desportes

Les industriels de l’armement et de nombreux officiers se rangent aussitôt derrière le chef d’état-major. Le général Vincent Desportes  déclare  sur Europe 1 : « Villiers a eu raison ! Qui peut défendre les militaires et les armées ? Ça n’est certainement pas notre ministre qui, quelles que soient ses énormes qualités, est surement beaucoup trop faible aujourd’hui et ne connait pas ce ministère ».  Pierre de Villiers très apprécié par ses troupes bataillait depuis les derniers mois de la présidence Hollande pour obtenir  que le budget de la Défense atteigne 2% du PIB d’ici 2022, alors que la France s’engage sur des théâtres extérieurs pour endiguer la menace terroriste. Dans ce contexte, le serrage de vis annoncé ressemblait beaucoup à un camouflet.

La foudre tombe sur l’hôtel de Brienne

Le 13 juillet au soir, sur la pelouse de l’hôtel de Brienne s’est tenue la traditionnelle réception de la veille du défilé au cours de laquelle le président de la République dit la reconnaissance de la nation aux armées. Aux alentours de 19h30, le chef de l’Etat, fidèle à sa ligne de conduite et sûr de lui, lâche, « Je considère qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. J’ai pris des engagements. Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir. Et je n’ai, à cet égard, besoin de nulle pression et de nul commentaire ». Mais, comme pour atténuer la semonce, il annonce un budget aux armées rehaussé à 34,2 milliards d’euros, au lieu de 32,6 pour 2018.

Une paix armée

Mais le coup est rude et très mal ressenti par les soldats. Sans attendre, Pierre de Villiers réunit à huis clos les principaux chefs d’armées et leur redit que les forces armées n’ont plus les moyens de répondre aux exigences.

Du côté du gouvernement  qui sent monter la tension on se pose en démineur. Le Premier ministre assure à la télévision que la tête de Philippe de Villiers n’est pas menacée, et qu’il peut “bien entendu” conserver ses fonctions. Le 14 juillet, conformément au protocole, le président et le chef d’état-major des armées descendent l’avenue des Champs-Elysées côte à côte.  Sous les yeux de la foule et des caméras ils échangent une brève poignée de main. Pierre de Villiers a déjà pris sa décision, il l’a confié à son équipe : il va démissionner.

Macron enfonce le clou

Le  16 juillet, dans le journal du Dimanche, le chef de l’Etat enfonce le clou : « Si quelque chose oppose le chef d’état-major des armées au président de la République, le chef d’état-major des armées change ». Si Pierre de Villiers hésitait encore, il n’a plus de doute. Dans sa lettre de démission publiée mercredi, et « acceptée » par le président, il assure avoir toujours cherché à « maintenir un modèle d’armée qui garantisse la cohérence entre les menaces qui pèsent sur la France et sur l’Europe, les missions de nos armées qui ne cessent d’augmenter et les moyens capacitaires et budgétaires nécessaires pour les remplir et avoir toujours fait preuve de loyauté avec l’autorité politique et la représentation nationale ».

Le général François Lecointre , chef du cabinet militaire du Premier ministre Edouard Philippe, a été nommé dès mercredi à sa succession.

F.C.

Réactions

Edouard  Philippe, Premier ministre :

« Dans cette affaire, chacun est dans son rôle. Le général de Villiers a exprimé un désaccord. Il a parfaitement le droit d’exprimer un désaccord avec le chef des armées. Mais comme un militaire, avec honneur, il ne peut pas contester les choix faits par son chef. Il a donc tiré les conséquences du désaccord qu’il avait lui-même exprimé. Le président de la République est l’autorité en la matière et exprime les choix portés par l’autorité légitime”. “Je ne pense pas que dans cette primauté du politique sur le militaire, il y ait quelque chose qui fondamentalement puisse choquer cette Assemblée nationale ».

Jean-Jacques Bridey, président LREM de la commission de la Défense de l’Assemblée

« Je l’ai dit, je regrette et je lui dirai quand je l’aurai au téléphone. Jusqu’au bout, j’ai essayé de le persuader de ne pas prendre cette décision en lui expliquant que sa démission n’était ni envisageable, ni d’actualité », a-t-il dit à la presse dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Comme on lui demandait si la position du chef d’état-major des armées était devenue intenable après le recadrage par le président de la République, M. Bridey a répondu: « Vous apprenez par la presse qu’on vous supprime 850 millions. Vous n’allez pas sauter de joie. Les conditions dans lesquelles cela s’est fait, sans aucun examen par le Conseil de défense restreint (…) Je comprends que cela fâche et que cela mette en colère. Maintenant il faut qu’on passe à autre chose ».

Jean-Luc Mélenchon, député La France Insoumise

« C’est une situation sidérante. Le général a participé à une réunion à huis clos et son devoir et son honneur est de répondre franchement, clairement, à toutes les questions qui lui sont posées. Le résultat est qu’il est contraint à la démission sur une admonestation publique du chef de l’État autoproclamé chef des armées. Le chef des armées c’est le Parlement. Si le général de Villiers s’exprime de cette manière là c’est parce qu’il y a un problème sur le budget de la défense ».

Jean-Jacques Urvoas (PS, ex-ministre de la Justice et ancien président de la commission des lois à l’Assemblée nationale) :

« Implicitement, Emmanuel Macron remet en cause le droit du Parlement à être informé. De cette démission du CEMA (chef d’état-major des armées) on pourrait retenir que le chef de l’Etat ne reconnait pas au Parlement le droit d’être informé ».

Benoît Hamon (candidat du PS à l’élection présidentielle 2017) :

“La démission du général Pierre de Villiers après l’annonce des coupes budgétaires et le nouveau chef d’oeuvre d’Emmanuel Macron ».

 Eric Ciotti, député LR :

« Le  recadrage public du chef d’état-major des armées Pierre de Villiers est la première faute lourde de M. Macron. Porter atteinte aux moyens  de protection des Français est grave et sera sans doute très lourd de conséquences. Emmanuel Macron a un petit problème d’ego et d’orgueil à gérer. On l’a vu dans sa remarque très déplacée au chef d’état-major des armées ».

Gérard Larcher, président LR du Sénat :

« Hommage à un grand soldat qui jusqu’au bout a servi la Nation avec courage et dignité ».

Florian Philippot, vice-président du Front National:

« La  démission du général de Villiers est une mauvaise nouvelle pour l’armée et la Nation. Macron choisit l’irresponsable sacrifice budgétaire. Depuis le début le général de Villiers se comporte en chef quand Macron se comporte en petit chef. Mise en danger de nos soldats et du pays ».

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